Le Milan et les Oiseaux Étienne Azéma (1776 - 1851)

Esope conte qu'un Milan,
Noble et puissant seigneur, jadis se mit en tête
De traiter ses amis. Un certain jour de l'an,
Il alla convier les oiseaux à sa fête :
Non ces petits chantres des bois,
Aux mœurs simples, au doux ramage,
Chétifs plébéiens du bocage,
Qui n'ont que leur plume et leur voix,
Mais les tyrans des airs, les hautes Eminences,
Aigle, Vautour, rapace oiseau ;
Après venaient leurs Excellences
Le Faucon, l'Epervier et Monsieur du Corbeau ;
Enfin maintes autres puissances.
La nappe était mise ; et chacun
Selon sa dignité se place
Les entrailles encore à jeun.
L'heure s'écoule ; le temps passe ;
Aucun mets n'est servi ; pas le moindre lapin,
L'Aigle se fâche et fait la mine ;
Le Corbeau, pressé par la faim,
S'en va flairer à la cuisine,
Et ne trouve au foyer pas l'ombre d'un festin.
Le Faucon dit que c'est un leurre.
On s'agite, on demande à grands cris le dîner.
— Amis, dit le Milan, veuillez me pardonner ;
Vous serez servis tout à l'heure.
Il quitte à ces mots sa demeure,
Va trouver l'Ortolan, la Grive, le Pigeon,
Imprévoyante et sotte espèce ;
Les invite avec politesse,
Disant qu'il fêtait son patron.
Charmés d'une offre qui les flatte,
Chacun de s'écrier : Volontiers, Monseigneur ;
Vous nous faites beaucoup d'honneur.
Tous à l'envi, pliant la patte,
Dressant l'aile, arrivent joyeux
Au Louvre du Milan, vieux nid, repaire affreux,
Il en ferme aussitôt la porte ;
Et sur l'innocente cohorte
Nos gros messieurs de cour tombent à qui mieux mieux,
Et trouvent à leur chair un goût délicieux
Pour des oisillons de province.
Ainsi repus et bien gorgés,
Chacun s'en va disant : C'est un dîner de prince !

Les petits sont toujours mangés.

Livre III, Fable 20




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