Le Faucon et le Milan Victorin Fabre (1785 - 1831)

Gentilhomme faucon, veneur de bonne race,
Chassait pour un baron, grand coureur de gibier ;
Vivant sous même toit, quelqu'un né pour la chasse,
Regardait ce faucon comme un gâte-métier.
Ce quelqu'un-là, milan, et prisonnier de guerre,
Était, il faut le dire, un scandaleux corsaire ;
Pillard plein de talent, mais qui, sans foi ni loi,
N'avait à bien piller d'appétit que pour soi.
Mauvais exemple au moins, et mauvais caractère !
Comme on espérait peu d'obtenir que sa serre,
Trop fidèle à son estomac,
Devînt lige du havre- sac
De monsieur le baron, monsieur dans sa volière
Vous l'avait fait griller : chacun l'y venait voir.
Le faucon vient un jour, met le bec au parloir,
Etdit : « Quel coup du sort ! Al'ombre de ces grilles,
Vivre comme un serin dans un couvent de filles !
Toi, milan ? toi ! l'Hector des phalanges de l'air !
Tu me peins Bajazet dans sa cage de fer '.
Mais comme lui captif, crois-tu que la victoire
Infidèle un moment, pour jamais t'a quitté?
Non, non, vive la liberté!
On te rend les combats : c'est te rendre à la gloire.
Tu peux, on me l'a dit, fléchir ton Tamerlan !
Pour cela que faut-il ? chasser.... mais pour sa bouche ;
Et devenir faucon pour être encor milan.
Ventrebleu ! tant d'honneur n'a-t-il rien qui te touche ? »
Le milan répond : « Frère, entre mangeurs de gens,
Dupe est celui qui dissimule.
Puisque Dieu l'a voulu, nous sommes deux brigands.
Mais je ne veux pas être un brigand ridicule.
Le seigneur Tamerlan me propose aujourd'hui
Quoi ? de manger pour moi, quand je tûrai pour lui ?
Non, de par mon bec ! non, je me ferais scrupule
De plumer mon prochain pour la broche d'autrui.
Tels meurtres, tels repas : s'il en est que réclame
Le gésier d'un baron, qu'il en charge son âme ! »
-Qu'entends-je ? un philosophe cût parlé comme toi !
Dit l'honnête faucon, qui recula d'effroi ;
Faut-il que l'égoïsme à ce point te possède !
Dieu clément ! ne plumer, n'égorger que pour soi !
C'est- il permis ? non, non ; le ciel veut qu'on s'entr'aide.
Si je chasse pour un baron,
Il chasse pour un duc, qui chasse pour des princes,
Qui chassent pour des rois ; rois qui chassent, dit-on,
Pour l'énorme appétit d'un chasseur de provinces
Qui se nomme empereur ¹. Excepté ce larron,
Rois, princes, dues et moi, tout le monde est faucon.
Lui seul n'a que pour lui son grand bec et ses pinces. »
« Vive Dieu ! ton sermon m'a touché jusqu'au cœur,
Répliqua le milan. Si j'étais empereur,
Je mangerais les rois ; si j'étais roi, les princes ;
Prince, les ducs ; duc, les barons : j'ai peur
Que si j'étais baron..-Eh bien ! quoi ? - Sans reproche,
Ami faucon, le pourvoyeur,
Suivrait, pour mon souper, les perdrix à la broche.
Le ciel veut qu'on s'entr'aide. Ogibier de prison !
Si la grille te plaît, donne-t'en à cœur joie.
Adieu, cuistre. -Adieu done, gentilhomme de proie !
Va chercher le rôti de monsieur le baron,
Pour que monsieur le duc à ses princes l'envoie ! »

Ce milan, dans sa cage, avait pris de l'humeur :
C'était, je vous l'avoue, une méchante langue.
Patience ! Un préfet m'apprend qu'un sénateur,
Pour réfuter ce drôle, au Luxembourg harangue :
Bonsoir donc ; la morale au prochain Moniteur.

Fable 18




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