Le Renard et le Chien Victorin Fabre (1785 - 1831)

Faut- il, pour ménager un brigand chatouilleux,
Flatter le tigre et l'ours, même dans l'apologue ?
Ou si nosseigneurs tels et tels
Veulent se reconnaître aux sept péchés mortels,
Faut-il brûler le Décalogue ?
Est-ce le vôtre ?
Je peins les animaux : est- ce ma faute à moi
Si ces gens- là souvent ressemblent à leur roi ?
Ce singe vous déplaît... -Un singe ! -
Je l'ignorais, j'ai peint la bassesse d'un autre.
-Ce portrait est hideux !-Pourquoi donc vous y voir ?
Ce n'est pas moi, c'est vous qui tenez le miroir.
-Voilàmes traits, monport...-Monsieur, qui vousoblige...
Cette figure-là... -C'est un singe, vous dis-je.
Composons cependant, vous pouvez l'adopter ;
Quiconque la réclame a dû la mériter.

Un chien demi-mouton, vrai chien de bergerie,
Jeune, et ne sachant rien des choses de la vie,
S'était, d'une touchante et naïve amitié
Épris pour un renard plus savant de moitié.
A son jeune Pylade, un jour, en tête-à-tête,
Le Nestor des terriers, la patte sur le cœur,
D'un ton plus doux que miel tint ce discours honnête :
Mon ami, qu'il est dur pour des gens pleins d'honneur
D'entendre les humains (que les dieux leur pardonnent !)
Crier sur vos pas au voleur !
Car voilà le nom qu'ils nous donnent.
Sans doute parmi nous on trouve des coquins
Comme il en est chez vous, surtout chez les humains.
Cependant (et l'aveu ne m'en est point pénible),
Bien qu'à cette heure encore, et je suis déjà vieux,
Ce prodige inouï n'ait point frappé mes yeux,
Il n'est pas, je crois, impossible
Qu'il existe, en un siècle, un honnête homme ou deux.
Pour moi, je ne veux point que de la calomnie
Le souffle se glissant dans votre souvenir,
Quand je ne serai plus puisse un moment ternir
Aux yeux de mon ami l'image de ma vie.
Je vous ouvre mon cœur sans crainte et sans détour :
Lisez ; vous me rendrez justice.
Vous savez que ma langue ignore l'artifice :
Foi de renard, l'honneur m'est plus cher que le jour.

Qu'un discours vertueux, où la franchise abonde,
Gagne sans peine un cœur bien né!
Le chien dans son ami vit un prédestiné.
Ceci plut au renard, et doubla sa faconde ;
L'ami lui débitant les plus beaux traits du monde
Sur la morale et sur l'honneur,
Il s'arrête en sursaut, dresse l'oreille, écoute :
Dieux cléments ! qu'est ceci ? quel fracas sur la route !
Sauve qui peut, je vois la meute et le chasseur ! >>>
« Arrête, dit le chien, oh ! la bonne méprise !
Quelle meute ! un âne, un panier,
Puis la fillette du fermier
S'en allant au marché vendre sa marchandise.
Marchandise, Dieu sait ! De vieux coqs dits chapons,
Peut- être aussi quelques dindons
Que Lisette a nourris de sa main charitable !
Lisette ! est-ce un chasseur aux renards formidable ?>>>
Le renard s'effarouche : ouais ! Qu'est-ce donc ? je vois
Dans ce regard malin où tend la raillerie.
Eh ! mon petit monsieur, dites-moi, je vous prie,
S'il est rien de commun entre Lisette et moi,
Entre ses coqs et ma cuisine ?
Est-ce à ses dépens que je dine ? »
« Quel soupçon, dit le chien ; d'où vientcegrand courroux ?
Chaque mot que j'ai dit était, je vous assure,
Fort innocent pour moi ; que ne l'est-il pour vous ?
Pourquoi vous en faire une injure ?
Non, mon ami, je sais ta conduite, et je croi
L'agneau nouveau sevré moins innocent que toi. »
< L'agneau nouveau sevré ! belle comparaison !>>>
Sa dent grince, et sa patte égratigne la terre.
< Vil calomniateur... Quoi ! parce que son maître
L'autre soir, ce dit-on, a perdu quelque agneau,
J'en serai responsable ! Ai-je soin du troupeau ?
Est-ce moi qui le mène paître ?
Oh ! le plaisant reproche ! et s'il perdait un veau ?
S'il le perdait, vraiment ! au dire de ce traître,
Je l'aurais écorché, moi, je l'aurais rôti.
Je suis donc un brigand ? Vous en avez menti. »
< T'accuse, et malgré moi vient de te déceler ;
C'est ton crime qui parle en me faisant parler.
Vieux coquin ! si j'avais un gibet pour te pendre !
Mais tu n'y perdras guère, et je vais t'étrangler.

Il n'alla point chercher une corde à la ville.
Mais au cou du larron, dents sur poil, le voilà,.
Patte d'ici, patte de là,
Qui lui tord le sifflet, songeant : « si l'imbécile
D'un mot dit sans dessein n'eût fait son délateur,
Je le tiendrais encor pour un renard d'honneur. »

Fable 17




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