L'Écureuil, le Chien et le Renard Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Un gentil écureuil étoit le camarade,
Le tendre ami d’un beau danois.
Un jour qu’ils voyageaient comme Oreste et Pylade,
La nuit les surprit dans un bois.
En ce lieu point d’auberge ; ils eurent de la peine
À trouver où se bien coucher.
Enfin le chien se mit dans le creux d’un vieux chêne,
Et l’écureuil plus haut grimpa pour se nicher.
Vers minuit, c’est l’heure des crimes,

Longtemps après que nos amis,
En se disant bonsoir, se furent endormis,
Voici qu’un vieux renard, affamé de victimes,
Arrive au pied de l’arbre et, levant le museau,
Voit l’écureuil sur un rameau.
Il le mange des yeux, humecte de sa langue
Ses lèvres, qui de sang brûlent de s’abreuver.
Mais jusqu’à l’écureuil il ne peut arriver ;
Il faut donc, par une harangue,
L’engager à descendre et voici son discours :
Ami, pardonnez, je vous prie,
Si de votre sommeil j’ose troubler le cours ;
Mais le pieux transport dont mon âme est remplie
Ne peut se contenir ; je suis votre cousin
Germain ;
Votre mère étoit sœur de feu mon digne père.
Cet honnête homme, hélas ! à son heure dernière,
M’a tant recommandé de chercher son neveu,
Pour lui donner moitié du peu
Qu’il m’a laissé de bien ! Venez donc, mon cher frère,
Venez, par embrassement,
Combler le doux plaisir que mon âme ressent.
Si je pouvois monter jusqu’aux lieux où vous êtes,
Oh ! j’y serois déjà, soyez-en bien certain.
Les écureuils ne sont pas bêtes,
Et le mien étoit fort malin.

Il reconnoît le patelin,
Et répond d’un ton doux : Je meurs d’impatience
De vous embrasser, mon cousin ;
Je descends : mais, pour mieux lier la connoissance,
Je veux vous présenter mon plus fidèle ami,
Un parent qui prit soin de nourrir mon enfance ;
Il dort dans ce trou-là : frappez un peu ; je pense
Que vous serez charmé de le connaître aussi.
Aussitôt maître renard frappe,
Croyant en manger deux : mais le fidèle chien
S’élance de l’arbre, le happe,
Et vous l’étrangle bel et bien.
Ceci prouve deux points : d’abord, qu’il est utile
Dans la douce amitié de placer son bonheur ;
Puis, qu’avec de l’esprit, il est souvent facile
Au piège qu’il nous tend, de surprendre un trompeur.

Livre IV, fable 2




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