Le Rat et l'Écureuil Henry Macqueron (1851 - 1888)

Vers le mois de novembre, alors que d'ordinaire
Les animaux, gens de précaution,
Pour la saison stérile ont fait provision,
Un Rat, cerveau brûlé, rêveur de grande affaire,
N’ayant ni sou ni maille, ou plutôt pas un grain,
Vient trouver l’Ecureuil, l'hôte du bois prochain.
I] lui dit des projets conçus d’ancienne date,
Médités mûrement, prés enfin, il s’en flatte,
D’obtenir un succès qu’à coup sûr il prédit.
Il existe assez proche un pays, le Midi,
Et ce nom, l’Ecureuil n’en est pas à l’apprendre,
Pays béni du Ciel, où jamais les frimas
D'amasser longuement n’exigeaient l’embarras :
Sur arbre toujours vert, où l'on n'avait qu’a prendre,
Prés d’un fruit déjà mûre un autre mûrissait ;
De cet Eden nouveau le chemin il le sait,
Pour l’avoir bien des fois parcouru sur la carte.
Rien ne le retient plus, Mais que tout seul il parte !
Il lui serait si doux d’avoir un bon ami,
Pour partager à deux ce séjour de délices !
Pourquoi perdre du temps? Les moments sont propices.
L’Ecureuil a déjà son magasin fourni ;
Ces provisions-là suffiront pour la route.
Les châteaux en Espagne ont leurré bien des gens,
Et bien des gens encor seront leurrés sans doute.
L’Ecureuil est charmant, mais de bien peu de sens,
Bon cœur, un peu léger. Sur son départ je sens
Que mille objections auraient pu trouver place.
Mais, s’il n’en a pas fait, à quoi sert que j’en fasse ?
Il dit oui, voila tout. On convint toutefois
Qu’on ne voyagerait que la nuit par prudence ;
Le jour on camperait pour dormir en silence.
Cela posé, grains, noisettes et noix,
Du creux d’un chêne antique on tire tout en masse ;
Tant qu’on peut dans un sac on enfonce, on entasse:
« Adieu, nature morte! adieu, tristes hivers!
Nous allons habiter des jardins toujours verts. »
Et les voila partis, tirant leur sac au large,
L’Ecureuil mangeant peu pour alléger les frais,
Le Rat mangeant beaucoup pour alléger la charge.
Ils s’éloignent des bois, arpentent les guérets,
Evitent les chemins, traversent des marais.
Tout marchait assez bien, quand par malheur un fleuve,
Placé mal à propos, met nos gens à l’épreuve.
On fait halte tout court ; on perd du temps d’abord ;
Ensuite on réfléchit ; puis voici la ressource :
C’est de remonter l’eau, tant qu’on trouve la source,
Et sans encombre alors passer à l'autre bord.
Cela fut bientôt dit, mais non fait aussi vite,
Ils marchent bien des nuits, et bien des nuits de suite;
De l'eau, de l'eau toujours. Au froid qui les prenait
Le faiseur de plans comprenait
Qu'il s’était da tromper. II s’arrête, et médite,
De poursuivre leur route, à quoi bon ? et comment ?
Leur sac est vide! Il faut décidément
Laisser pour cette fois un projet si malade;
Contre l'hiver chercher bien vite un logement,
Ou l'on verrait a vivre au plus commodément.
Ainsi jugea le Rat. Son pauvre camarade,
De fatigue et de froid sur la rive étendu,
Pleurait son doux berceau, pleurait son bien perdu.
« Au surplus, reprit l’autre, il n’est pas inutile
De courir le pays; par soi-méme on voit tout,
Et lon n’apprend pas mince en observantbeaucoup.
Crest un plaisir en lecons bien fertile,
Dont plus tard le profit ne vous saurait manquer.
— Oui, répond l'Ecureuil, et j'aurai souvenance
Qu'il faut, ayant sa suffisance,
Se méfier des gens qui n’ont rien a risquer. »

Fable 12




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