Un petit écureuil, bien vif, bien sémillant,
Avait son nid sur un vieux hêtre ;
Vivant heureux, libre et content,
Dans le bois qui l'avait vu naître.
Au milieu de ce bois, une ferme, un verger,
Un magnifique potager
Lui fournissaient en abondance
Des fruits à savourer et des noix à ronger.
C'était assez pour lui ; car, dès sa tendre enfance,
Ses parents, par nécessité,
Ou peut-être par prévoyance,
Avaient formé son goût à la sobriété.
Rien n'était si doux que sa vie :
Liberté tout entière et plaisirs innocents,
N'est- ce pas de quoi faire envie ?
Il était le premier, au retour du printemps,
A voir la forêt embellie
De jeunes fleurs et de bourgeons naissants.
Aucun souci, dans sa retraite,
Ne venait troubler son sommeil,
Et le matin, à son réveil,
Il allait faire sa toilette
Aux premiers rayons du soleil,
Se peignait, s'arrangeait, se redressait l'oreille ;
De sa queue en panache il ombrageait son dos,
Et se réchauffait en repos,
Sans crainte pour demain, sans regrets pour la veille.
C'était charmant : voilà qu'un beau matin,
Le museau propre et les pattes bien nettes,
Notre écureuil, allant à la chasse aux noisettes,
Trouve un gros rat sur son chemin.
Il salue avec politesse ;
Le rat l'accoste et veut nouer un entretien :
<« Mon cher enfant, dit-il,sans que cela paraisse,
D'être utile j'ai le moyen ;
Votre figure m'intéresse,
Et je serais charmé de vous faire du bien.
Que cherchez-vous ici ? Parlez avec franchise ;
Je suis tout prêt à vous servir.
Voulez-vous que je vous conduise
Où vous trouverez à choisir
Sucre, biscuits, gâteaux, fromage de Hollande,
Pour vous régaler à loisir ?
- Monsieur, » dit l'écureuil, « une petite amande
Est tout ce qu'il me faut pour mon simple repas ;
Je vous suis obligé, mais je ne connais pas
Les mets dont vous parlez. - Vous plaisantez, je pense ;
Le sucre vous est inconnu ?
— Vraiment oui. Se peut-il ? Vous n'avez pas vécu,
Mon cher ; vous ignorez ce que la ProvidenceA voulu faire pour nous
De plus doux.
Et les biscuits ? et le fromage ?
- Moi, je ne les connais, monsieur, pas davantage.
Ah ! pauvre enfant, que je vous plains !
Suivez-moi dans cette chaumière,
C'est là que vous verrez...-Oh ! non, monsieur, je crains
De désobéir à mon père.
Il m'a bien souvent défendu
D'entrer dans les maisons des hommes :
Ils sont nos ennemis, de tous tant que nous sommes ;
Fuis-les bien, » m'a-t-il dit, « ou tu serais perdu. »
—– Votre père a voulu vous effrayer, sans doute, »
Reprit le rat ; <« mais voyez- moi,
J'y vais sans cesse, et, par ma foi,
Je n'y vois rien que je redoute.
Vous croyez ? Je vous jure. -Eh bien donc, je vous suis. »
L'écureuil, en tremblant, trotte jusqu'à l'office.
Le sucre lui parut exquis.
Le rat riait avec malice :
« A présent, » dit-il, « mon cher fils,
» Goûte à ce morceau de fromage. >>
L'écureuil mord... Soudain, avec un grand tapage,
Un trébuchet tombe..... Il est pris.
Le rat se sauve ; on vient ; on met dans une cage
Le pauvre écureuil confondu ;
Il pleure, il se désole, et dit en son langage :
« Adieu, nid paternel, liberté, frais ombrage !
Un mauvais conseil m'a perdu. »