L'Écureuil et la Tortue Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Un Écureuil, dans une cage,
Près de la porte d'un jardin,
Pour faire un très-petit voyage,
Se tourmentait soir et matin.
De l'endroit stable à la pièce mobile
Il s'élançait d'un air agile,
Et là, pour la faire tourner,
On le voyait se démener
En arrière, en avant, et sans aucun relâche,
Comme se dépêchant d'accomplir une tâche.
Si jamais on concevait bien,
En tournant dans le même espace,
Que cela ne conduit à rien,
Dès qu'on ne change pas de place,
Beaucoup d'Écureuils que je vois
S'épargneraient bien des charois.
nôtre ii était pas d un avis aussi sage.
Plus il agit, plus il se met en nage,
Plus il croit faire un personnage.
Sur tout ce qui rampait à l'entour de sa cage
Il pense avoir le droit de verser le dédain.
Après 1 'escargot, la limace,
Passe une Tortue et son train.
Il épargne la populace :
Pour J'attaquer, il est trop vain;
Mais pour la dame traîne-écaille,
Elle vaut assez qu'on la raille
Vous êtes matineuse , à ce que je puis voir.
Il est midi sur la muraille,
Quoique marchant, vaille que vaille,
Vous avez déjà fait le tour de l'arrosoir !
Vous irez loin, sur ma parole.
Petit personnage frivole!
Dit la dame sans s'émouvoir.
Je venais chercher l'abreuvoir,
Et ma fatigue m'est utile.
Toi, qu'as-tu fait? un travail bien futile.
Mais qu'attendre de la raison
De qui n'a jamais fait le tour de sa maison
Quoique, par jour, il en fasse cent mille ?
Nous préserve le ciel qu'il la promené en ville !