L'Écureuil et la Tortue Étienne Fumars (1743 - 1806)

Le couvreur au pied sûr tombe pourtant des toits.
Malgré son balancier et le long exercice,
Au plus hardi sauteur quelquefois le pied glisse ;
Il glisse au riche, au grand, au favori des rois :
Au physique, au moral, trébucher n’est pas rare.
Que de chutes depuis Icare !
En est-on plus prudent ? en est-on moins hardi ?
Non ; témoin mon franc étourdi.

Sous l’arc roux et bouclé de sa queue élégante,
Un écureuil en se jouant courait
Sur la cime un peu claire, incertaine, ondoyante
D’une haute et verte forêt.
Ivre d’air pur et pétillant de grâce,
Il traversait d’un pied léger
Cette plaine flottante en bravant le danger ;
On eut dit de là-bas qu’il courait dans l’espace.
On n’y court point : une branche rompit,
Ou bien son pied faillit,
Lequel des deux, n’importe guère.
Voilà notre coureur par terre,
Et les yeux clos : la douleur les rouvrit.
Il cria ; ses pareils ne daignèrent l’entendre :
Ils étaient bien là-haut, point n’en voulaient descendre.
Et puis comment le remonter ?
Un malheureux d’abord n’a plus de camarade ;
Sur les heureux surtout il ne doit plus compter.
Un lièvre qui passa ne pouvait s’arrêter ;
Un renard se hâta d’aller en embuscade ;
Un cheval l’aperçut, et fit une incartade ;
D’être encor sur ses pieds l’âne même joyeux,
Pour en être plus sûr galopa de son mieux.
Aucun de ces coureurs ne montre une âme émue.
A pas long-temps comptés arrive une tortue
Qui se pressait pourtant. A le voir en repos
Elle jugea d’abord de sa déconvenue,
Le consola, fit plus, lui présenta son dos.
— « Viens, je marche vaille que vaille ;
« Avec l’aide du temps cependant nous irons.
» Couché sur cette dure écaille,
Croyant aller à reculons,
Il se tourne et retourne ; et son inquiétude
Avait un peu l’air de l’ingratitude.
— Je fais pour toi ce que je peux,
Et c’est de bien bon cœur, tu le vois, lui dit-elle.—
« Oui, je connais le prix de tes soins généreux.

Je sens combien ton âme est belle ;
Mais, dans ma fortune cruelle,
Tous les secours me font souffrir ;
Laisse-moi ; j’aime mieux mourir.
O tous , riches et grands dont la rapide allure
Nous étonne parfois, allez plus doucement ;
Vous tomberez assurément,
Et vous verrez, je vous le jure,
Vos égaux vous abandonner.
Si vos inférieurs ont une âme moins dure,
Que pourront-ils pour vous ? Tout au plus vous traîner.





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