Le Pécheur et la Sirène Jacques Cazotte (1719 - 1792)

D'une Sirène enchanteresse,
Un Pêcheur devint amoureux ;
Sachons un peu par quelle adresse
Elle sut l'attirer dans ses lacs dangereux.
De ces monstres en perfidie
Les attentats, devenus trop fameux,
Faisaient qu'on n'abordait des lieux,
Que fréquentait leur race impie,
Qu'en se recommandant aux Dieux,
El, d'après l'exemple d'Ulysse,
Ayant à l'oreille un tampon,
Les pieds liés, l'œil en coulisse.
Le Pêcheur se refuse à la précaution.
Bon, disait-il, un homme de ma force,
Lire piqué par une telle amorce,
Par des mines, par des couplets
Qui servent d'appas aux niais!
Etant, à la fois, sourd et borgne,
Serait-on moins facile à décevoir,
Et se lier pour s'ôter tout pouvoir !
Cela ne se peut concevoir.
Il dit, avance, écoute et lorgne.
Une Sirène a deviné
L'humeur et les penchants du sire,
Et le moyen de le séduire
Dans le moment est combiné ;
Elle chantait, le son expire :
Un bras, qui semble abandonne ,
A, dans les flots, laissé tomber la lyre.
Un timide embarras se peint dans son regard,
Et la rougeur la couvre de son fard $
On la verrait inquiète, confuse,
Voulant couvrir son sein de ses cheveux,
Quand son adresse s'y refuse j
Puis, -tout-à-coup, se dérobant aux yeux,
Dans l'onde elle se précipite,
Affectant ce désordre où serait la pudeur,
Si la bouche et les yeux avoient trahi le cœur,
Comme se reprochant quelque trait d'inconduite.
L'extravagant, se présumant vainqueur,
Imprudemment se livre à la poursuite ;
Par deux bras qu'on lui tend il se laisse serrer,
On l'y reçoit : c'est pour le dévorer.

Fable 51




Commentaires