La Chatte et la Fouine Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Tout en rôdant dans le grenier,
La Fouine y rencontre la Chate,
Qui travaillait de son métier :
La bête au long museau la cajole , la flatte.
Que vous avez un bel habit d'hiver!
On n'en peut trop vanter la bigarrure.
Je faisais cas de ma fourrure
Qui ne saurait aller de pair.
E! ce n'est pas cette seule parure
Qui distingue votre figure :
Votre regard brille de tant de feu ,
Que par lui-même il semble lumineux.
Aussi, quoique je sois d'humeur un peu sauvage,
A m'approcher de vous je ne sais quoi m'engage;
Et, quand j'examine de près
Ce mouvement , je conjecture
Qu'il doit venir de la nature.
Nous avons mêmes goûts et mêmes intérêts.
S'agit-il de la bonne chère?
Tout gibier nous est bon , le lapin, la perdrix. |
Nous croquons les poulets, sans dégoût pour la mère,
Et nous avons les mêmes ennemis j
Le chien surtout. Oh ! l'odieuse bête!
En aboyant, il me brise la tête.
Je goûterais un plaisir bien complet,
Si je voyais le dernier au gibet.
Le pire de tous est la lice ,
Que l'on engraisse ici des restes de l'office,
Qu'on entretient pour y faire le guet.
Mettez le pied dans la cuisine ,
Elle va vous prendre au collet ;
Peut-être vous étrangler net.
Je sais qu'elle est en train d'une gésine;
Craignez que ses petits mâtins
Ne vous donnent bien des chagrins.
Si je pouvais entrer dans l'écurie,
Et pénétrer jusque dans leur cheni,
En quatre coups j'aurais.
Vous qui courez partout, et sans qu'on vous soupçonne,
Dites-moi qui vous rend si bonne,
Que vous n'ayez tordu le col à ces vauriens ?
Auriez-vous donc du respect pour les chiens ?
En croyez-vous-la nourriture,
Une assez mauvaise pâture,
Pour qu'on doive la négliger ?
Apprenez qu'on en peut manger,
Et, d'après mon expérience,
Qu'il n'est pas de mets plus parfait,
- Plus savoureux qu'un chien de lait.
De la lice épiez l'absence ;
Et, sans vous amusera prendre ici des rats,
Faites à ses dépens un excellent repas.
Quoiqu'elle comprît bien ce que l'on voulait faire,
Notre croqueuse de souris,
Aux propos qu'on lui tient ne parait pas contraire;
Elle adoucit le feu de ses yeux vert-de-gris ,
Et, d'un air patelin , grommèle son rosaire .
Tel serait un derviche auprès d'un janissaire.
Il ne faut pas brusquer l'affaire :
Les chiens, répondit-elle, à peine sont éclos :
J'en goûterai quand ils seront plus gros.
La Fouine part.... Oli ! la fine commère!
Donnons dans sa ruse de guerre,
« Cria la Chatte, en lui voyant le dos:
Détruisons tous les chiens, rendons libre la place
A nul de nos petits elle ne fera grace.
Le simple est bien souvent la dupe d'un conseil ;
Mais le méchant devine son pareil.

Fable 50. Titre original : La Chate et la Fouine


Note de l'auteur : Les derviches et antres religieux turcs ont un chapelet à gros grains, sur lequel ils grommèlent à quart de voix.

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