Le Rat, le Moineau et le Chat Marc-Louis de Tardy (1769 - 1857)

Un rat, solitaire et tranquille,
Dans un grenier avait son domicile.
Un Moineau, se glissant sous les bois du couvert,
Entre, du lieu fait la connaissance ;
Et le trouvant bien garni, mais désert,
Il en fit son dortoir ainsi que sa dépense.
Le rat et le moineau se virent, et d’abord
Ils eurent fait connaissance.
Ils vécurent un mois en. bonne intelligence.
Le mois suivant, ils étaient en discord ;
Ce fut la raillerie
Qui troubla leur union,
Comme elle fait en mainte occasion.
Le rat prit mal une plaisanterie
De son pétulant compagnon,
Ce rancuneux ermite,
Retiré dans son trou comme un lièvre en son gite,
Ne faisait que songer.
Le malheureux songeait a se venger,
Lorsqu’un gros chat et mine meurtrière,
Tout doucement entra par la chatière.
Le rat, par l’instinct seul, ’éventa de son trou ;
Il avance la tète, et parlant au matou :
« Monseigneur, lui dit-il, vous vous mettez en chasse
Pour gripper quelque rat malingre et coriace;
Il vous faut en ce jour un mets plus succulent;
C'est la fêté des chats, souffrez que je régale,
Mais aux dépens d’autrui, votre altesse royale.
Les moineaux, par exemple, ont un goût succulent;
J’en sais un qui, les soirs, s’en vient par la corniche,
Se tapit sous les bois, comme un saint dans sa niche ;
Il y passe la nuit, et, de cette hauteur,
Il se moque des gens. Tachez de le surprendre.
Cette échelle vous dit le chemin qu’il faut prendre. »
Le chat remercia le dénonciateur,
Lui jurant qu’il aurait sa part des victuailles.
La tète du moineau, le gésier, les entrailles
Seraient son lot, sur parole d’honneur.
Ce mot lâché, le maitre en tromperies
Dresse aussitôt ses doubles batteries;
Et le moineau, surpris dans son sommeil,
Entre ses dents fit un triste réveil.
Le ravisseur faisait crier sa proie ;
A la curée il appelait le rat.
Par la haine aveuglé, le traitre, plein de joie,
Courut et fut soudain étranglé par le chat.

Prions Dieu qu’il en arrive
Autant aux délateurs.
Cette engeance mérite une haine plus vive
Encore que les flatteurs ;
Elle provient d'une autre peste,
Que toujours, mon cher Marc, au collège on déteste,
Et que l'on fuit... les rapporteurs.

Fables, 1847, Fable 19




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