L'Homme et le Castor Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Tout au fond de la Virginie,
Un beau jour, l'Homme et le Castor
Marchaient tous deux de compagnie,
Nous n'étions pas en guerre encor.
Je n'en puis revenir, compère,
Disait l'Homme à son compagnon,
Je suis dans l'admiration
En contemplant ton savoir faire j
Différents soins, vers un but réunis,
Partagent les sujets de votre république.
L'un enfonce des pilotis,
L'autre établit dessus un palais domestique.
Celui-ci, sur le dos , par un second traîné,
Se transforme en un char à mon œil étonné ;
Plus loin de bûcherons une troupe endurcie,
Dans ses dents a trouvé sa scie.
Bientôt, par une digue, un torrent arrêté
Dans le centre d'un lac enferme une cité.
Aussi, plus je vous examine,
Plus je conclus en mon cerveau
Que vous seriez sans nous l'ouvrage le plus beau
Qu'ait achevé la main divine.
Oh ! oh ! l'ami, tu te méprends,
Dit le Castor, et notre espèce
Ne porte point la hardiesse
Jusqu'à l'orgueil des premiers rangs ;
Nous avons trop de concurrents.
Le geai, l'hirondelle, la grue,
La chenille, le vermisseau,
Le moindre insecte, insensible à la vue,
Jusqu'au ciron, qui se loge en tapeau,
Sont fabricants de semblables merveilles;
Pour nous procurer nos besoins,
Nous avons tous des ressources pareilles ;
Mais leurs travaux te frappent moins ;
Et tu présumes mieux du nôtre.
A part toute comparaison,
En veux-tu savoir la raison ?
C'est qu'il approche plus du vôtre.

Fable 49




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