L'Homme et la Sirène Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Quelle espèce est l’humaine engeance !
Pauvres mortels où sont donc vos beaux jours ?
Gens de désir et d’espérance,
Vous soupirez longtemps après la jouissance ;
Jouissez-vous ? Vous vous plaignez toujours.
Mille et mille projets roulent dans vos cervelles.
Quand ferai-je ceci ? Quand aurai-je cela ?
Jupiter vous dit, le voilà,
Demain dites-m’en des nouvelles,
Jouissez ; je vous attends-là.
Ne vous y trompez pas ; toute chose à deux faces ;
Moitié défauts et moitié grâces.
Que cet objet est beau ! Vous en êtes tenté.
Qu’il sera laid, s’il devient vôtre !
Ce qu’on souhaite est vu du bon côté ;
Ce qu’on possède est vu de l’autre.
D’une sirène un homme était amoureux fou.
Il venait sans cesse au rivage
Offrir à sa Venus le plus ardent hommage ;
Se tenait là, soupirait tout son sou.
La nuit l’en arrachait à peine,
Les soucis avoient pris la place du sommeil ;
Et la nuit se passait à presser le soleil
De revenir lui montrer sa sirène.
Quels yeux ! Quels traits ! Et quel corps fait au tour !
S’écriait-il : quelle voix ravissante !
Le ciel n’enferme pas de beauté si touchante.
Il languit, sèche, meurt d’amour.
Neptune en eut pitié. ça, lui dit-il un jour,
La sirène est à toi ; je l’accorde à ta flamme.
L’hymen se fait ; il est au comble de ses vœux ;
Mais dès le lendemain le pauvre malheureux
Trouve un monstre au lieu d’une femme.
Pauvre homme ! Autant l’avoient travaillé ses transports,
Autant le dégoût le travaille.
Le désirant ne vit que la tête et le corps ;
Le jouissant ne vit que la queue et l’écaille.

Livre II, fable 17






Commentaires