Le Corbeau et le Faucon Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Un corbeau vigoureux dans la fleur de son âge,
Par monts, par vaux, allait chercher son pain.
Un vieux corbeau du voisinage,
Tout pelé, tout gouteux (le grand âge est mal sain)
Se tenait dans son trou, prêt à mourir de faim.
Le jeune vit un jour un faucon charitable
Qui chez le centenaire apportait à manger.
Eh quoi ! Dit-il ; moi, pauvre diable,
En travaillant beaucoup à peine ai-je à gruger ;
Tandis que mon vieux frère assuré de sa table
Fait grand chère sans se bouger.
Oh, oh ! Puisque la providence
Nous a donné des pourvoyeurs,
Je m’en remets à ces messieurs.
Désormais des faucons j’attends ma subsistance.
Le subtil raisonneur agit en conséquence.
Il se tient chez lui clos et coi ;
Jouit de sa paresse en attendant de quoi
Flatter aussi sa gourmandise.
L’appétit vient. Le faucon ne vient pas.
Mon paresseux s’en scandalise ;
Mais, content d’en gronder, il n’en fait pas un pas.
Après quelques jours de paresse,
Et se sentant faillir le cœur,
Il veut sortir ; mais sa faiblesse
L’arrête, et l’insensé meurt enfin de langueur.
Le ciel prétend qu’en son aide on espère :
Mais il faut distinguer les cas.
Faites toujours ce que vous pouvez faire.
La providence est la commune mère.
Fiez-vous-y : mais ne la tentez pas.

Livre II, fable 16






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