Deux voyageurs firent naufrage ;
Et sur le débris du vaisseau
Ils abordent tous deux dans une île sauvage,
Où les suit un danger nouveau :
L’affreuse faim. Nos gens cherchent par tout à vivre ;
Mais ils ont beau courir, nuls fruits, nuls animaux ;
Sable altéré comme eux. Les voilà près de suivre
Leurs compagnons engloutis dans les eaux.
Après deux ou trois jours, sur la rive ils découvrent
Grand nombre d’huîtres prenant l’air.
Voilà des coquilles qui s’ouvrent,
Dit l’un, nous serions bien obligés à la mer,
Si c’était quelque proie. Il prend le coquillage,
Et l’ouvrant tout-à-fait, voit les mets odieux,
Effrayant le goût par les yeux.
Il vaut autant mourir, s’écria le moins sage,
Que de manger cela ; disant pour sa raison,
Que faim n’est pire que poison.
Le cœur lui soulevait contre l’affreuse proie.
Il languit et mourut de faim.
L’autre à l’extrémité l’emploie,
L’avale en grimaçant. Oh, oh ! Dit-il soudain,
Ce mets est exquis ; c’est dommage
Que les humains encor n’en sachent pas l’usage.
Quel goût ! Quelle fraîcheur ! Il avalait toujours.
Grande exclamation à chaque huître avalée :
Vive, dit-il, cette eau salée.
Quel délice ! à ce prix je passe ici mes jours.
C’est assez lui criait tempérance importune.
Il est sourd à ses cris : encor une, encor une ;
Et d’une en une il arriva
Que l’imprudent glouton creva.
Voilà l’humaine extravagance.
Nous nous perdons par les excès.
Contre plaisir et répugnance
Raison perd toujours son procès.

Livre II, fable 15






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