Le Rat et l'Huitre Léon Riffard (1829 - ?)

Il vous souvient de l'aventure
De cet écervelé de rat,
Qui, mécontent de son état,
Fatigué d'être heureux dans la pauvre masure
Où l'avaient élevé les auteurs de ses jours,
Partit un beau matin, sans rien dire à son père.
Il voulait se donner carrière,
Trotter d'abord aux alentours ;
Puis aller voir l'Atlas, grimper sur son épaule ;
Puis, ensuite, qui sait ? escalader le Pôle,
Et grignoter là-haut les étailes. Mais las !
Il n'avait pas fait trois cents pas
Qu'il se fit prendre, le bélître !
Par une huître !
Qu'il prétendait s'offrir pour son premier repas.
Maître Jean, qui jadis nous conta cette histoire,
N'en a jamais connu la fin.
C'est moi qui l'ai trouvée en un vieux parchemin,
Dont j'ai débrouillé le grimoire.
Il est donc aujourd'hui certain
Que notre voyageur partit de grand matin.
Mais la sagesse paternelle,
Heureusement veillait sur lui.
Le vieux, en entendant remuer la javelle,
Au moment où, quittant la couche maternelle,
Le jeune fou s'était enfui,
Avait deviné l'escapade,
Mais il ne bougea pas. « Ah ! Ah ! mon camarade,
Tu veux prendre la clef des champs
Sans consulter tes grands parents !
Rien ne sert des vieillards la vaine sapience !
Va, mon garçon,
Et, puisque tu le veux, que dame Expérience
T'inflige avant ce soir une rude leçon. »
Pourtant, à la faveur de l'ombre
Car le ciel était encor sombre,
-. Sur la mer seulement pointait quelque lueur, -
Le père avait suivi le jeune voyageur.
Il le vit trotter sur la plage
Et s'approcher d'un coquillage
Qui, largement ouvert, humait l'air du matin
Non sans guetter notre gamin.
« Prends garde, lui cria le père,
N'avance pas,
Jeune sot, jeune téméraire,
Si tu ne veux t'exposer au trépas.
(Il connaissait sa gourmandise
Et prévoyait quelque sottise.)
Que j'en ai vus. - Ah ! crains leur sort. -
Qui sont venus ici chercher la même mort ! »
Mais la mer qui montait déferlait avec rage,
Et sa voix se perdit au milieu du tapage.
L'Huître, en se refermant, comme dans un étau,
Avait déjà pincé notre pauvre nigaud.
Le vieux accourt, prend une pierre,
Aiguisée en forme de coin,
L'introduit doucement, la pointe la première,
Dans le joint, et la pousse en guise de tarière.
De pousser bien avant il ne fut pas besoin.
L'Huître se sent blessée : elle lâche sa proie,
Raton s'échappe, plein de joie,
Et se jette en pleurant aux bras de son sauveur.
Il avait bien un peu la tête en marmelade,
Mais il n'y songeait pas, tant il avait eu peur !
Onques depuis ne tenta d'escapade.
C'est ainsi que pour nous, enfants,
Avant l'époque de l'étude,
S'exerçait de nos chers parents
La touchante sollicitude.
L'un, ferme autant que doux, avec son gai savair !
L'autre, le dévouement, sans bornes, sans mesure :
La Foi, la Charité, l'Espoir !
Bonne, comme elle était belle, sans le savair :
Sainte, qui cherchait Dieu partout dans la nature,
D ans la création, et dans la créature,
N'ayant qu'à regarder en elle pour le voir !

Livre IV, Fable 9




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