Les deux Rats et la Ratière Emile Erckmann (1822 - 1899)

Sous l'escalier d'une cuisine.
Un rat, frôlant le mur,
Aperçut, dans le clair-obscur,
Une étrange machine
Qui, tout au fond de ce caveau,
Se cachait derrière un cuveau.
C'était une sorte de boîte
Ouverte au fond, assez étroite,
Où notre rat émerveillé
Vit un morceau de lard grillé
Exhalant au loin son arôme.
« Seigneur, se dit-il, c'est un baume !
Jamais parfum plus délicat
N'a chatouillé mon odorat... »
Il allait fondre sur la proie,
Quand un soupçon troubla sa joie :
« D'où vient, se dit-il, que du lard
Se rencontre ici ? Quel hasard !
Quoique son odeur me délecte,
La chose me parait suspecte,
Je n'entrerai pas là dedans. »
Comme il hésite de la sorte,
Un autre rat franchit la porte
Et prend le lard à belles dents.
Mais aussitôt une gâchette
Part, et lui coupe la retraite...
Il court, il grimpe, il devient fou...
Et notre rat, gagnant son trou,
S'écrie : « O merci, Providence,
De m'avoir doué de prudence ! »
C'est le plus grand bienfait des dieux,
Les prudents seuls deviennent vieux.

Livre III, fable 13




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