Heureux qui, bien obscur, sans souci des grandeurs,
Laborieux, exempt d'envie,
Demande à la raison le bonheur de sa vie.
Il n'use point ses jours en de vaines ardeurs ;
Jouir de peu, voilà sa règle et sa sagesse.
Le cœur libre, il jouit sans cesse :
C'est la voix d'un ami, c'est l'éclat d'un beau jour,
C'est le chant des oiseaux qui captivent son âme.
Il va faire à Flore sa cour.
Lesbois, les champs, les cieux, tout lui plaît, tout l'enflamme.
Quelques rats dans une maison
Avaient élu leur domicile :
Ils s'y tenaient cachés. En trouver la raison
N'est pas, je crois, bien dissicile.
Sans connaître les habitants,
Dont ils étaient sous-locataires,
Ils vivaient là, ces prolétaires,
Bien hébergés, gras et contents.
Un des plus jeunes rats, ò jeunesse imprudente !
Se dit un jour : Je voudrais bien
De cette maison opulente
Fréquenter les seigneurs, goûter leur entretien
Et vivre quelque peu de leur vie élégante !
Tantôt vêtus de noir, tantôt vêtus de blanc,
Sans doute en signe de leur charge,
Ce sont, m'a-t-on conté, des ètres d'un haut rang ;
Mais toujours nos anciens m'ont fait prendre le large,
M'entraînant après eux, tremblants, effarouchés,
Quand de nous ces seigneurs se sont trop approchés.
Oh ! je ferai leur connaissance,
J'y tiens beaucoup en vérité,
Car j'ai pour les gens d'importance
Un grand amour. Sa vanité
Lui fut fatale ! Un jour l'audacieux se lance.
Il voit son monde banqueter,
Des miettes tombaient de table,
Et notre rat veut s'y jeter,
Empressement fort excusable.
Mais, hélas ! l'éveil est donné.
Un rat chez nous, chose effroyable !
ite on interrompt le dîné.
Le rat prend peur. Il fuit. Le maître
Va quérir de la mort aux rats.
Adieu plaisirs, joyeux ébats !
Plus de repos, plus de bien- être,
Partout des trébuchets ! Sans cesse on doit songer
A préserver sa pauvre vie.
La plus faible imprudence est à l'instant punie ;
Enfin, il fallut déloger.
Frayer avec les grands, que Dieu nous en préserve !
Souvent, sans doute, on n'en meurt pas ;
Mais, en fait de malheurs, n'est-il que le trépas ?
Vie obscure et cachée, heureux qui te conserve !