Fille de Jupiter, la féconde Nature
Compte dans l'univers de nombreux ennemis.
Que de fois sur elle on a mis
De grands torts, de grands maux, en lui faisant injure !
Son père un jour lui dit : -Ma fille, expliquez -moi
Comment le génie est si rare
Chez les pauvres humains ? Pourquoi
En êtes-vous toujours avare ?
Le grand nombre n'est composé
Que de sots, de méchants et d'ânes,
De vaniteux et de profanes,
Et je suis sans cesse accusé
D'avoir mis sous mon patronage,
Et d'avoir fait à mon image
De bien tristes gens. Vous pouviez
Faire, je crois, meilleur usage
Du pouvair que vous nous deviez.
Voyez combien serait heureuse
La terre, si, plus généreuse
Et d'un esprit moins indolent,
Ma fille y semait le talent
A profusion. -La Nature
Se fâcha presque.
Ignorez-vous
Combien il est de dieux jaloux
Acharnés contre moi ? Je jure
Que je fais toujours de mon mieux.
Peut-être en croirez-vous vos yeux ;
Venez, père, veuillez me suivre. —
Jupiter aussitôt, dans les airs entraîné,
Est par la Nature emmené
Au fond d'un temple obscur où se plaisaient à vivre
De beaux jeunes gens au grand front.
Près de livres fermés, un long tube à la bouche,
Mollement étendus sur une tendre couche,
Ces hommes vivaient là dans un repos profond.
Hélas ! dit la Nature, ils avaient du génie ;
Mais les voici captifs chez leur grande ennemie.
Et de là Jupiter fut aussitôt conduit
Au sein d'un autre temple et dans un doux réduit
Où, portant une lyre et couronnés de roses,
De pâles jeunes gens, par la beauté servis,
Au milieu des chants et des ris,
Buvaient l'Aï fameux à de très fortes doses.
Hélas ! dit la Nature, ils possédaient aussi
Du génie, et, captifs ils le perdent ici.
Vous le voyez, mon père, on conspire sans cesse
Contre mon espérance et contre vos désirs.
Jupiter demeura tout rêveur... Je le laisse.
Le premier temple était celui de la Paresse ;
Le second celui des Plaisirs.