Jupiter et la Brebis Gotthold Ephraim Lessing (1729 - 1781)

La timide brebis souffrait, à tous instants,
Des autres animaux les mauvais traitements.
« Jupin ! je t'en supplie, adoucis ma misère,
Dit-elle en l'abordant, exauce ma prière !

- Ma bonne, je le sais, lui répondit le Dieu,
De bénir ton destin, tu n'as certes pas lieu ;
Je te fis sans défense ; eh bien, parle sans crainte ;
Dis moi comment je puis faire droit à ta plainte.
Voudrais-tu posséder de redoutables dents,
Ou, voir tes faibles pieds armés d'ongles tranchants ?
— Oh ! non, dit la brebis ; «des bêtes de rapine
Je ne veux partager les armes ni la mine.
— Dois-je dans ta salive insérer du poison :
— On hait tant les serpents ! ce n'est pas sans raison.
— Sur ta tête veux-tu que j'applique des cornes,
Et qu'à ta force enfin j'assigne moins de bornes ?
— Hélas non, Dieu puissant ! On pourrait, par malheur
Trouver en moi du bouc la querelleuse humeur.
— Mais, il faut que toi-même aux autres paisses nuire,
Pour cesser de les voir enclins à te détruire.
— Triste nécessité! dit-elle en soupirant ;
Laisse moi sans défense, ô Dieu trop bienfaisant ;
Qui peut nuire, a, je crains, le désir de le faire,
Mieux vaut souffrir, nous dit un proverbe vulgaire. »

Jupin alors bénit l'innocente brebis
Qui toujours oublia de se plaindre depuis.

Livre II, fable 18




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