Oh ! pour moi, que je plains l'être ayant en partage
Une âme sensible à l'excès !
En peindre les tourments, les combats, les regrets,
Exigerait un long ouvrage...
Et tous ces maux, je les connais.
Jupiter et Vénus, se trouvant en voyage,
Frappèrent chez un laboureur.
On les reçut au mieux dans ce pauvre ménage,
Pourvu du moins des dons du cœur.
Un enfant y venait de naître :
C'était un beau garçon... Peut-être
Le ciel daignait-il envoyer
Ces voyageurs au métayer,
Afin de lui donner l'aubaine
D'un parrain et d'une marraine,
Qui justement auraient manqué...
Notre homme à ce penser s'enflamme :
-Oh ! je vais leur parler, ma femme.
Ce sont de bonnes gens ; je l'ai bien remarqué.
L'homme présente sa requête,
Et les dieux se font une fête
De donner un nom à l'enfant.
Le père en est tout triomphant.
Son fils s'appela -t-il Jupiter ? Je l'ignore ;
Mais on daigna lui faire encore
Des dons cent fois plus précieux :
L'enfant reçut du roi des dieux
La sagesse avec le courage.
Obtenir ces nobles vertus,
C'était certe un grand avantage ;
Mais que va lui donner Vénus ?
L'esprit, les grâces, la finesse...?
Longtemps y songea la déesse.
Après avoir bien hésité,
Elle donna... mais quoi ? La sensibilité.
Toute déesse est encor femme.
Ce cadeau, Jupiter le trouva malfaisant :
- Une âme trop sensible est un triste présent.
Bien à plaindre est le cœur qui pour un rien s'enflamme ! -
- Cependant... - Le dieu prit dans sa main des cailloux.
Hé ! Jupiter, que faites- vous ? -
Je voudrais éclaircir ma pensée. - Un insecte,
Pour cette leçon indirecte
Parmi les cailloux est jeté ;
Le tout est mêlé, ballotté.
Le pauvre insecte criait grâce ;
Mais quand la main du dieu fut lasse,
La victime n'existait plus.
—Et vous prétendez, dit Vénus,
Montrer ici.... -Le sort du filleul. - Impossible ! -
- Inévitable sort de l'homme trop sensible ! -
Qu'en induirai-je ? rien ; mais je l'ai dit, un cœur
Trop sensible est un grand malheur.