Certain léopard était roi
D'une vaste et belle contrée
Au pouvair absolu livrée,
Le roi seul y faisant la loi.
Il la faisait fort tyrannique.
Ce prince ayant bon appétit,
Chaque jour un nouvel édit
Amenait quelque acte tragique :
C'était le meurtre d'un mouton,
D'un chevreuil, d'un taureau, d'un âne.
Le sacré comme le profane,
Pour son ventre, tout était bon.
On tremblait, et pourtant l'on célébrait sa gloire :
Il était noble, fort, clément, sage, pieux ;
Son nom serait inscrit au temple de mémoire.
Parmi les noms des demi- dieux...
Un éléphant, roi débonnaire,
Alla chez son cousin, un jour,
Et trouva que, dans cette cour,
Tout était bien triste et sévère ;
On se prosternait jusqu'à terre,
Quand passait le roi Léopard ;
On fuyait même à tout hasard
Dès que paraissait son cortége.....
Par respect ou crainte, que sais-je ?
-Convenez, dit à l'éléphant
Le cousin d'un air triomphant,
Que tout ici marche à merveilles :
Dans ma cour, entouré de splendeurs sans pareilles,
Presque adoré, je suis un véritable roi.
Qu'êtes-vous auprès, dites-moi ?
Une ombre de monarque, un jouet, peu de chose.
Le bon éléphant dit : -Pardonnez-moi, si j'ose
Vous répondre bien franchement :
Le respect sans l'amour est un triste avantage.
Ici chacun se courbe, et vous vous croyez grand ;
Votre grandeur ne gît que dans l'abaissement
Du plus méprisable entourage. -
Être proclamé grand par l'amour, c'est, je crois,
Le bonheur le plus doux des rois...