C'était grande réception
À la cour d'Adislas, le jour anniversaire
De son heureuse élection.
Près du monarque était assis son père ;
Devant eux défilaient et la ville et la cour,
Un vieillard passait à son tour,
Quand le père du roi, pris d'un accès de rire,
L'arrête, et par la main le tient, en disant : « Sire,
Vous voyez un savant ; je réclame pour lui
De vos bontés un emploi, c'est celui
D'astrologue de la couronne ;
Pour grand sorcier je vous le donne.
A cet homme autrefois, mon fils, je vous portai,
A l'instant même où vous veniez de naître,
Et sur vous je le consultai,
Le conjurant de me faire connaître
Quel avenir vous était destiné.
Mon devin fit alors beaucoup de jongleries,
De grimaces, de momeries,
Et dit, en soupirant : » « Hélas ! le nouveau-né
Sous un astre fâcheux est venu dans ce monde,
Et dans trente-deux ans, à dater d'aujourd'hui,
Nul mortel ne sera plus malheureux que lui. »
Or, de sa science profonde
Nous avons la preuve, ô mon fils ;
Vous voilà sur le trône assis,
La gloire, le bonheur, y sont votre partage,
Et de trente-deux ans vous avez passé l'âge. »
Chacun sourit, et dit un mot railleur
Sur le prophète de malheur.
« - Mon père, dit le roi, je dois être équitable ;
Cessez ce badinage, il est hors de saison,
Car, j'en conviens, ce vieillard eut raison,
Et sa prédiction n'est que trop véritable !
Au plus humble de mes sujets
Dix fois par jour je porte envie.
Il peut, du moins, former quelques projets,
Disposer de son temps, de son cœur, de sa vie.
Mais moi, mon père, esclave couronné,
Par l'étiquette condamné
A n'avoir de plaisirs que ceux que l'on m'impose ;
La politique ordonne mon hymen,
Et, m'opprimant en toute chose,
Sans consulter mon cœur, dispose de ma main.
A chaque place que je donne
Je fais cent mécontents, sans m'attacher personne.
Je trouve dans les grands, en ma présence admis,
Un monde de flatteurs, et je n'ai point d'amis.
Rongé d'ennui, sans le laisser paraître,
Privé de tout repos, de toute liberté,
Il faut être roi pour connaître
A quel énorme prix le trône est acheté,
Et, quoi qu'en dise le vulgaire,
Combien le bonheur est, mon père,
Éloigné de la royauté ! »
Ainsi parlait de sa rude besogne
Ce pauvre roi de la Pologne.
Pourtant de députés, de constitution,
Il était, de son temps, à peine question.
C'est à présent que le trône, j'espère,
Lui paraîtrait une galère.
En conscience, il serait temps, je crois,
De changer le proverbe : Étre heureux comme un roi.