Le Roi, le Paysan et l'Hermite Louis-Philippe de Ségur (1752 - 1830)

Un Roi tourmenté d'insomnie
(On m'a dit que ce mal était le mal des Rois),
Vit à la chasse un Villageois
Etendu dans une prairie,
Qui reposait si doucement
Et dormait si profondément
Que du triste Monarque il excita l'envie.
Au même endroit un Hermite passait,
Homme sage et qu'alors partout on respectait,
Faisant peu de sermons, ne prêchant que d'exemple ;
De toutes les vertus son cœur était le temple.
Le Roi l'arrête et lui dit : Homme saint,
De grâce, dites-moi pourquoi ce misérable,
Que le malheur poursuit, que la fortune accable,
Malgré les maux qu'il souffre, et malgré ceux qu'il craint,
Bien loin de désirer le ciseau de la Parque,
Dort si paisiblement et bien mieux qu'un Monarque ?
Sire, répond l'Hermite, un pauvre Villageois
Ne condamne personne et ne fait point de lois,
Jamais l'ambition ne trouble sa pensée :
Des fautes qu'il commet seul coupable et puni,
Ses chagrins sont l'impôt, la taille, la corvée ;
Il travaille pour vous, et vous veillez pour lui.
De plaisirs et de maux ce consolant partage
D'un dieu juste et clément est l'immortel ouvrage.
Vous avez tous les biens, ils ont tous les travaux ;
Vous avez les remords, ils ont le doux repos.
Rois qui nous gouvernez, portez mieux vos couronnes.
Que les honnêtes gens soient vos seuls favoris ;
Et pour mieux dormir dans vos lits,
Dormez un peu moins sur vos trônes.
Ainsi parla l'Hermite, et le Roi furieux
Le fit punir, et n'en dormit pas mieux.



Conte

Commentaires