L'Enfant, le Miroir et la Rivière Louis-Philippe de Ségur (1752 - 1830)

Un roi voulait punir un sage,
Pour avoir de sa vanité,
De ses travers, de sa légèreté,
Tracé dans un sermon une fidèle image.
Le sage cependant obtint d'être écouté ;
Et voici quel fut son langage :
Certain Enfant,
Fort laid, fort sot et fort méchant,
Dans un Miroir vit un jour sa figure,
Et le Miroir, avec sincérité,
Lui montra sa difformité.
L'Enfant tout irrité le brise, et se figure
Qu'il peut, au gré de sa fureur,
En détruisant l'image, effacer sa laideur.
Mais le cristal d'une onde claire
Lui montra, quelques jours après,
Même laideur et mêmes traits ;
Et ne pouvant détruire la Rivière,
Il dévora sa honte et ses regrets.
Ô vous rois, qui prenez cet Enfant pour modèle,
Si je fus de la vérité
Pour vous un Miroir trop fidèle,
Songez au moins, en punissant mon zèle,
Que la Rivière est la postérité.
On dit que l'apologue au roi fit tant de honte,
Qu'au philosophe il pardonna,
Que même il le récompensa ;
Mais je veux croire au moins qu'il l'exila :
Car, sans cela, l'histoire aurait trop l'air d'un conte.



Conte

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