Un jour l'inconstante déesse
Voulant favoriser un pauvre malheureux,
Et mettre un terme à sa détresse,
Lui fit don d'un miroir surprenant, merveilleux.
Fut-on bossu, boiteux, borgne et mille autres choses,
Chacun y paraissait sous des dehors charmants ;
Un instant suffisait pour ces métamorphoses.
Aussi notre homme eut-il grand nombre de chalands,
Sitôt qu'il eût montré sa pièce curieuse,
Et qu'il eût dit : je rends jeunes les vieux,
Je fais marcher droit la boiteuse,
Je donne à la laideur un aspect grâcieux ;
Enfin, accourez-tous ; jugez-en par vos yeux.
zu Toujours aussi, le soir, cet homme,
S'en revenait-il au logis,
Muni d'une assez forte somme,
Dont son miroir était le prix.
Un jour, que par mésaventure,
Il ne put, sur la place, aller incontinent,
De cette fonction il chargea son enfant,
Jeune homme assez mal fait, disgracieux de figure ;
Celui-ci, transporté de se voir beau garçon ;
Garda pour lui l'usage de la glace ;
Nul ne put obtenir un seul instant sa place ;
Et le soir, sans un sol, il revit la maison :
Imbécile, lui dit son père,
Que t'a servi de te mirer toujours ?
Ta mine est-elle moins grossière ?
Mettras-tu moins en fuite les amours ?
Sache, mon fils, que si, par politesse extrême,
Ou bien par intérêt, nous adulons autrui,
Toujours les gens sensés se moquent de celui
Qui trouve son bonheur à s'aduler lui- même.

Livre III, fable 15




Commentaires