Un jeune rat, riche et prodigue,
Possédait un très-beau jardin ;
Et, loin du bruit et de l'intrigue,
Il croyait son bonheur certain.
Recevant sans cesse à sa table
De rats un cortége nombreux ;
Confiant, généreux, affable,
Il leur faisait à tous un accueil gracieux.
Ceux-ci le payaient en visite,
En éloges, en complimens,
En titres, plus ou moins brillans,
Et chacun croyait être quitte.
Ainsi le jeune rat des jours heureux passait
Dans ce bizarre et mutuel échange,
Prenant pour des amis, sans fraude et sans mélange,
Ceux qu'à sa table il recevait.
Mais un jour que, sous le feuillage,
De leur généreux hôte ils célébraient galment,
Entre la poire et fromage,
Et les vertus et le talent ;
Se croyant bien à l'abri de l'orage ;
Fort à propos, pourtant, on s'aperçut qu'un chat,
S'avançait doucement, afin de les surprendre,
Aussitôt on les vit en tous lieux se répandre ;
Nul ne voulant engager le combat.
L'amphytrion ne fut le dernier dans la fuite ;
De çà, de là, chacun se sauva comme il put ;
Très-heureux qui lestement sut
Du terrible animal éviter la poursuite.
Mais, pour notre héros, ce qui fut désastreux,
C'est que ce chat maudit ne quitta plus la place ;
Et que la faim, augmentant sa disgrâce,
Le réduisit au sort le plus fâcheux.
En vain pour soulager son affreuse misère,
Il implora ses amis d'autrefois ;
Aucun ne se montra sincère,
Tous à l'envi méconnurent sa voix.
Désespéré de tant d'ingratitude,
Il voyait lentement s'approcher le trépas,
Lorsqu'un rat, sur lequel, certe, il ne comptait pas,
Vint apaiser sa vive inquiétude :
Certain rat philosophe, et qui, très- sagement,
Loin des erreurs et des vains bruits du monde,
Vivait dans une paix profonde
En faisant de l'étude un doux amusement,
Lui dit venez chez moi, ma fortune est petite ;
Mais nous partagerons ce que je tiens des dieux ;
Car, toujours je me félicite,
Lorsque le ciel permet que je m'acquitte,
En secourant les malheureux.
Sans peine, je dis qu'on déloge,
A l'insolente vanité ;
Mais je garde en tout temps, dans le fond de ma loge,
Une place à la pauvreté.

Ce n'est point chose très-commune
Qu'un véritable ami, mais c'est plus qu'un trésor ;
Et, pour le bien connaître, il faut que l'infortune
Le passe au creuset, comme l'or.

Livre III, fable 14




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