Que, dans un piège aux Souriceaux tendu,
Vieille souris donne, tête baissée,
Je dis : tant mieux. Le grand âge aurait du
L'en détourner, la rendre plus sensée.
Mais qu'un naïf et jeune Souriceau,
Courant, trottant d'un pied novice encore,
Soit entraîné par un friand morceau,
Vers un écueil que sa candeur ignore ;
Je plains son sort, et je serais tenté
De l'arracher à la captivité.
Certain vieux Rat avait l'âme moins tendre.
Un Souriceau devenu prisonnier,
Contait sa peine à l'écho du grenier :
C'était pitié de le voir, de l'entendre.
Mon Rat s'approche, et parlant au captif,
D'un ton hargneux, d'un air rébarbatif :
Pourquoi crier ? vous êtes, petit drôle,
Par votre faute enfermé dans la geôle.
Si vous n'eussiez, animal imprudent,
Sur le lardon appuyé votre dent,
Du trébuchet la porte suspendue
Ne se fut pas brusquement abattue.
Combien dé fois l'homme ne m'a-t-il pas
Affriandé par de pareils appâts !
L'oeil aux aguets, rusé comme un Ulysse,
J'ai constamment déjoué sa malice.
J'ai fait bien plus. En ruse mille fois,
J'ai défié les chats les plus adroits.
De mes succès l'histoire rendra compte.
J'ai fait mourir -Grippe-Minaud de honte,
Et n'ai jamais déshonoré le nom
De mon aïeul, le fameux Ratapon.
Le Souriceau, pendant cette harangue,
Baissait les yeux et retenait sa langue.
Enfin, poussant un soupir douloureux :
Daignerez-vous sauver un malheureux,
Dit-il au Rat, et finir sa misère ?
— Je ne le puis. — Songez donc à vous taire.
A quoi me sert cet étalage vain,
S'il n'aboutit à changer mon destin ?
Votre discours irrite ma souffrance ;
Il est fort beau, mais je vous en dispense.
Prêcher les gens, sans leur tendre la main,
C'est se montrer doublement inhumain.