La Girouette et le Paratonnerre Valéry Derbigny (1780 - 1862)

Deux personnages de hauts lieux,
Plus élevés qu'on ne l'est d'ordinaire,
La Girouette et le Paratonnerre,
Dans un séjour voisin des cieux,
Sur un point culminant de la machine ronde,
Laissant loin, sous leurs pieds, tout le vain bruit du monde
S'entretenaient de leur utilité,
De leur valeur et de leur consistance ;
L'une vantant sa mobile existence,
L'autre son immobilité.

- « Moi, rester là, comme un terme plantée,
Disait la Girouette à la tète éventée ;
Comme j'étais hier être encore aujourd'hui,
Et demain et toujours : j'y périrais d'ennui !
Moi, que j'aspire et que je porte envie
Au tranquille bonheur dont vous semble/ jouir ;
Moi, que j'aille me réjouir
De la torpeur où s'endort votre vie !
Xon, non : l'activité, voilà mon élément ;
C'est là l'unique bien : je n'en connais point d'autre,
Et ne troquerais pas mon lot contre le vôtre
Une minute seulement.
Par bonheur, Dieu merci, j'ai bien assez à faire
Ayant les vents à gouverne]'.
Qui mieux que vous est là pour discerner,
Dans la variété des lois de l'atmosphère,
Ce qu'il me faut et de lète et de soins
Pour veiller à tous les besoins
Et surtout pour y satisfaire ?
Les caprices du temps, ses changements soudains,
Les bons, les mauvais jours qu'il faut que je prédise,
Car tout importe aux intérêts mondains,
Ou vent de sud ou vent de bise.
11 n'est oeil des humains, de l'aurore à la nuit,
Qui ne vienne épier la chance qui me suit.
Partout où l'on me voit, partout où j'ai mon siège,
Travaux, plaisirs se règlent sur ma foi :
Bref, on ne veut s'en rapporter qu'à moi.
Aussi, prompte à servir la foule qui m'assiège,
Je dis au laboureur : Demain tu peux semer ;
Au pêcheur de la côte :.Hâte-toi de ramer ;
A l'amateur d'horticulture :
Crains ce souffle glacé pour ta jeune bouture ;
Au vigneron gravissant ses coteaux :
Attends pour émonder la fin de la gelée ;
Aux faneuses de la vallée :
Vite, armez-vous de vos râteaux,
Courez, en folâtrant, éparpiller votre herbe ;
Aux dandys du grand monde, ennuyés, ennuyeux :
Disposez à l'envi, pour plaire à tous les yeux,
Vos chars et vos coursiers : Lonchamps sera superbe ;
Au jeune ambitieux, législateur imberbe,
Qui veut être ministre et n'est que député :
Regarde bien de quel côté
Le vent souffle ; rends-toi puissant par la parole,
Fais foin de tout le reste et prends-moi pour boussole.
Et c'est ainsi que se passent mes jours ;
Enfin je suis partout, et pour tous et toujours.
Vous, voisin, vous savez si c'est de l'indolence. »

Celui-ci rompant son silence :
« Si vous avez tout dit, maintenant écoutez,
Voisine, c'est donner beaucoup trop de puissance
Aux témoignages répétés
D'une passive obéissance ;
Instrument de docilité,
OEuvre de faible intelligence,
Même, soit dit sans manquer d'indulgence,
Presque de puérilité,
Vous croire initiée aux secrets d'Uranie,
Et prétendre à l'honneur d'une comparaison,
Ce serait abdiquer un reste de raison.
La main qui me posa, c'est la main du génie,
De ce savant audacieux,
Envié par l'Europe à la jeune Amérique,
Qui, maîtrisant le fluide électrique,
Sut lui tracer sa route dans les cieux.
Il conçut le problème et j'ai pu le résoudre ;
Et mon utilité répond à son dessein ;
Je commande aux nuages et je dis à la foudre :
Eteins-toi dans mon sein.

Il suffit de ces mots, restons ce que nous sommes.
Ce qu'ont voulu pour nous les hommes,
En nous fixant aux lieux où l'on nous voit placés,
C'est nous faire à tous deux un destin qui leur serve.
Ne nous disputons pas, voisine, c'est assez.
Des célestes fureurs dont ils sont menacés
Vous les avertissez ; moi, je les en préserve. »

Livre III, Fable 16




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