Sur l'abrupte sommet d'un mont voisin des cioux,
Non loin des.sources du tonnerre,
Un Aigle avait bâti son aire
Dans les flancs déchirés d'un rocher sourcilleux ;
Et sa compagne et lui se plaisaient en ces lieux.
Et les âpres élans de leur propre génie,
Et leurs regards planant sur l'océan des airs,
Et les globes roulants dans la sphère infinie,
Et des vents déchaînés les sublimes concerts,
Autour du couple heureux tout était harmonie.
Mais qui peut s'assurer d'être toujours constant,
De n'avoir qu'un amour et d'y rester fidèle ?
L'Aigle aimait sa compagne, et cependant près d'elle
L'ennui, d'autres souhaits, venaient à tout instant
Lui faire de son sort dédaigner l'avantage.
Un rang moins élevé, moins de gloire en partage,
Des amours de moins haut étage
Lui semblaient, sous l'attrait de l'infidélité,
La suprême félicité.
Du besoin de changer puissance inexplicable !
Aux maux que vous causez quel remède applicable ?
L'Aigle n'en voyait point. Un jour qu'à ses aiglons
Leur mère, descendue aux terrestres vallons,
S'était mise en souci d'aller chercher pâture,
L'Aigle de son côté, qui cherchait aventure,
Le cœur plein du malin désir
De troubler d'un vieux coq le bonheur. domestique,
S'abattant sur le toit d'une maison rustique,
S'en vint près d'une Poule occuper son loisir.
Il s'approche, -il lui parle un langage superbe ;
Il lui dit tout l'amour dont il se sent épris.
A ce jargon nouveau qui demeure incompris,
La Poule stupéfaite a quitté son brin d'herbe.
— « Que me veut ce beau sire avec son bec crochu ?
Dit-elle, et d'où nous vient ce grand oiseau sans grâce
Qui fait le beau parleur et qui, là, nous est chu
Quasi comme du ciel ? Ma foi, je m'embarrasse
Pas mal de ses grands yeux ; et pour qui me prend-il ?
J'aime bien mieux mon coq ; il est bien plus gentil,
Lui qui porte si bien sa crête,
Lui qui met tant de grâce à chanter ses amours,
A secouer son aile en signe de conquête,
Et même à se gratter coquettement la tête,
Comme pour m'assurer que je lui plais toujours. »
L'Aigle, surpris de sa déconvenue,
Confus d'un dédain mérité,
Mais cédant à l'attrait d'une ardeur inconnue,
Sous le joug d'un désir par l'obstacle irrité,
Au pied d'un vieux donjon va gémir, attristé;
Cachant sa tête sous son aile,
Ne pensant qu'à sa poule et soupirant pour elle.
Amour, amour, pourquoi l'Aigle n'a-t-il pas fui ?
Ce sont là de tes traits, c'est ta maligne élude ;
Et l'Aigle, dans sa solitude,
Dépérissait de langueur et d'ennui.
Cependant un éclair a passé devant lui.
L'oiseau de Jupiter, que la foudre ranime,
Soudain lève la tète et jette un cri sublime.
Lu tempête l'appelle : il en connaît la voix.
Et sa fierté, s'éveillant sur l'abîme,
A pour jamais stigmatisé son choix.
Il aspire à rentrer sous ses amours anciennes ;
Sa gloire en a reçu le solennel serment ;
Et, délaissant des mœurs qui ne sont pas les siennes,
Il s'élance rapidement
Aux profondeurs aériennes,
Par delà tous les monts, par delà tous les cieux,
Par delà les confins de la voûte stellaire,
Jusqu'à la région solaire,
Où l'Aigle seul a droit d'aller fixer ses yeux.
Poètes enivrés de l'encens populaire,
Ecrivains oublieux du maternel giron,
Aigles qui déserte/ votre aire,
Ceci s'adresse à vous, à toi, surtout, Byron !