L'Aigle et les Poules Ivan Krylov (1768 - 1844)

Pour jouir des splendeurs d'un soleil éclairant,
Un aigle, un jour, planait par delà les nuages,
Et s’ébattait, libre et content
Dans la sphère éthérée où naissent les orages
Mais enfin, fatigué d'un long vol dans les cieux,
L'oiseau-roi s’abbatiat sur le toit d'une grange.
C’était pour un monarque un trône assez étrange ;
Mais les rois ont parfois le goût capricieux.
Voulait-il faire honneur à ce modeste asile ?
Avait-il vainement cherché, loin de son nid,
Le chêne au faite altier ou le roc de granit ?
Dire ce qu'il pensait m'est assez difficile.
Du reste, sur ce toit à peine il vient poser,
Et bientôt sur un autre il porte son caprice.
Une poule, témoin de ce fol exercice,
Va trouver sa commère et se met à jaser.
« Dis-moi, commère, ma mignonne,
Pourquoi l'aigle chez nous est-il si fort prisé ?
Pour son vol, nous dit-on ; c'est nous la bailler bonne !
Voler d’un toit sur l'autre est-il si malaise ?
J'en fais bien tout autant, sans étonner personne.
Ceux qui pourraient encor préférer l'aigle à nous,
Désormais, à coup sûr, devront passer pour fous !
Qu'a-t-il de plus ? Dans d'autres moules
A-t-on fait ses pieds et ses yeux
Nous avons vu : vole-t-il mieux
Qu’on ne vole ici chez les poules ? »

Mais l'aigle, fatigué du vain bruit de leurs voix,
Leur dit: « Vous avez tort et raison à la fois :
S'il veut quitter la sphère au vulgaire inconnue,
L'aigle, vous dites vrai, jusqu’au niveau du sol,
Tout comme vous parfois peut abaisser son vol ;
Mais les poules jamais n'ont plané dans la nue. »

Censeur indiscret et bavard,
Toi qui vas du génie plier la faiblesse,
Cherche plutôt sa force ; élève ton regard
Pour le suivre planant dans les hauteurs de l'art ;
Détourne les yeux, s'il s‘abaisse !

Livre I, fable 17




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