Un Loriot, l'honneur et l'ornement des bois,
Dans mes vers nouveau personnage,
Connu par la beauté de son riche plumage
Autant que par l'éclat de sa brillante voix,
Pour la sécurité du foyer domestique,
Avait fixé son nid sur un platane antique.
Le platane, on le sait, est l'arbre de son choix.
Merveille d'élégante et simple architecture,
Un nid de Loriot, c'est une œuvre à la fois
D'instinct et de génie, où l'art et la nature
Semblent se disputer l'honneur de sa structure :
Œuvre où se voit empreint le doigt du Créateur
Quatre crins d'égale longueur
Artistement noués sur un rameau docile,
Dont la courbe obéit aux caprices de l'air,
Comme obéit l'esquif aux brises de la mer,
Suspendent mollement ce gracieux asile.
Ainsi balancé, ce berceau
Présente le double avantage
D'être plus doux et d'ôter tout passage
A tout insecte ou vermisseau ;
C'est là l'instinct de cet oiseau.
Un Coucou, voisin du compère,
Et qui l'avait regardé faire,
Depuis longtemps convoitait son logis.
« Ce nid, se disait-il, serait bien mon affaire,
C'est le mieux fait qui soit dans le pays.
Dès aujourd'hui je puis m'en rendre maître ;
Mais attendons encore une semaine ou deux :
Les œufs sont déposés ; les petits doivent naître ;
Ma prise alors en vaudra beaucoup mieux. »
Au temps marqué, c'est-à-dire à l'époque
Où les petits furent venus,
Le cruel fond dessus,
Tour à tour vous les croque ;
Puis, dans le nid encor fumant
Du sang qu'il venait d'y répandre,
Le barbare ose bien attendre
Le Loriot, qui survient à l'instant.
Aux oisillons il portait la pâture :
Qu'on juge, au spectacle émouvant
Du meurtre de sa géniture,
Du pauvre Loriot quelle fut la douleur.
« 0 Jupiter ! dit-il, toi qui sais mon malheur,
N'y sois pas insensible, et fais que ta justice
D'un cruel assassin prépare le supplice !
De tout temps, le méchant fut par toi confondu.
Oui, je serai vengé si tu m'as entendu. »
Jupiter, témoin de la scène,
Avait connaissance du cas ;
Mais Jupiter ne pensait pas,
Que la chose valût la peine
Qu'il intervînt dans leurs débats.
A ses yeux, le Coucou, ni traître, ni coupable,
N'avait suivi qu'un penchant naturel,
Qui, bien qu'on pût le réputer cruel,
N'était pourtant point condamnable.
u Toi-même, es-tu moins criminel"?
Dit-il au Loriot ; toi-même qui me touches
Par le récit de tes malheurs,
Dis-moi, tous tes festins de mouches
N'ont-ils jamais fait répandre de pleurs ?
Ces insectes, ces vers et ces mille victimes
Qui chaque jour sont engloutis,
Pour te nourrir ou nourrir tes petits,
Qu'est-ce autre chose enfin que des milliers de crimes ?
Tu te plains de tes ennemis ;
Tu demandes une sentence ;
Eh bien, je vais la rendre, écoute et sois soumis :
«Moi, l'auteur de toute existence,
Je pèse en la même balance
Les œufs des loriots et les œufs des fourmis.
Du reste, et quant aux maux répandus sur la terre,
Le monde est ainsi fait et n'est point à refaire.
Tu souffres trop en ce moment
Pour que je t'explique comment
La mort est pour la vie un agent nécessaire. »
Ici le dieu se tut ; et moi, son truchement,
Je dois, puisqu'il s'est tu, m'incliner et me taire.