La Tourterelle, la Cigogne et le Coucou Laurent-Pierre de Jussieu (1792 - 1866)

Un jour, maman la tourterelle,
Demoiselle cigogne et monsieur le coucou,
Venant tous trois je ne sais d'où,
Arrivèrent à tire- d'aile
Dans un beau champ de chènevis,
Le plus renommé du pays.
La rencontre n'avait rien d'extraordinaire ;
Et l'on comprend, sans explication,
Ce qu'en tel lieu pouvaient avoir à faire
Une petite ménagère,
Une maman, un vieux garçon.
Tourterelle amassait et ne mangeait que guère ;
Cigogne de grains frais emplissait son long bec,
Comme un panier de cuisinière ;
Et garçon le coucou dévorait vert et sec.
Il s'arrêta pourtant, d'un air lourd et stupide,
Lorsqu'il fut si plein, si repus,
Qu'au fond de son gésier avide
Il n'aurait pu tenir une graine de plus.
Alors, très-content de lui- même,
Il contemple un moment les deux autres oiseaux,
Et puis leur adresse ces mots :
« Vous prenez une peine extrême
A ramasser encor du grain
Que vous ne mangez pas, mesdames les avares.
Reposez-vous, si vous n'avez plus faim ;
Les grains ici ne sont pas rares,
Vous en retrouverez demain.
- Monsieur, » répond la tourterelle,
C'est peut-être bien dit à vous ;
Mais il nous faut cueillir pour d'autres que pour nous :
Aux petits éclos sous mon aile
Je porte ce repas, qui leur est partagé
Par la tendresse maternelle ;
Et pour moi, je n'ai faim que quand ils ont mangé.
Adieu ; leur douce voix vers mon nid me rappelle.
- Et moi, dit la cigogne, et moi j'ai d'autres soins :
Si je ne suis pas encor mère,
J'éprouve le bonheur du moins
De soutenir les jours de mon vieux père,
De pourvoir à tous ses besoins.
Je lui rends ce qu'il fit pour moi dans mon enfance :
Quand je recevais tout de lui,
Son cœur palpitait d'espérance ;
Et quand je lui donne aujourd'hui,
Le mien bat de reconnaissance.
Adieu, je pars ; peut-être il souffre en monabsence.
- Hé bien, dit le coucou, je n'ai pas, Dieu merci !
Pour ma part si grande besogne.
Madame tourterelle, et madame cigogne,
Grand bien vous fasse ! moi, je suis tout seul ici ;
Je mange à mon aise, et digère ;
De personne je n'ai souci,
Et me trouve fort bien d'être ma seule affaire. »

Notre égoïste ainsi parla :
Quelque temps encor s'écoula ;
Et bientôt, traînant à sa suite
Faiblesse, infirmités, la vieillesse arriva.
Pour l'homme et pour l'oiseau vieillesse vient si vite !
Jeune homme et jeune oiseau si peu songe à cela !
Le coucou, comme un autre, à son tour en vint là :
Malade, tout perclus, sans famille, sans gîte,
Il languissait, lorsque voilà
Que tout-à-coup il se rappelle
La cigogne et la tourterelle.
Ce triste souvenir de son poids l'accabla :
« Oh ! déplorable sort de qui n'aima personne !
Je souffre, je meurs seul, dit-il, tout m'abandonne... »
Et son dernier soupir à ces mots s'exhala.

Livre II, fable 5




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