Le Rossignol et le Hibou Laurent-Pierre de Jussieu (1792 - 1866)

Dans le fond d'un bois solitaire,
Un rossignol chantait durant la nuit entière :
Il était seul ; bêtes ni gens
Ne venaient applaudir à ses divins accents ;
Mais ne songeant guère à la gloire,
Il s'inquiétait peu d'avoir un auditoire.
Cependant, non loin de ces lieux,
Un hibou, retiré dans un vieux chêne creux,
L'entendit, et de sa cachette
Par curiosité sortant à l'aveuglette,
D'un air stupidement railleur
Vint parler en ces mots à mon gentil chanteur :
« Il faut que vous soyez bien bête,
Quand vous êtes tout seul ici,
Pour vous égosiller ainsi
A chanter comme un jour de fête.
On dit que vous chantez fort bien :
Quant à moi, je n'y connais rien
Et ne suis point musicien ;
Mais j'ai du sens, et je raisonne,
Et je suis tout surpris de voir
Que vous chantiez matin et soir,
Pour n'être entendu de personne. »
Quand l'oiseau sinistre eut tout dit,
Le rossignol lui répondit :
« Dans la solitude que j'aime,
Mon plaisir est de gazouiller ;
Le talent ne sert pas seulement à briller,
Il sert à s'amuser soi-même. »

Livre II, fable 6




Commentaires