Le Grillon et le Ver-luisant Laurent-Pierre de Jussieu (1792 - 1866)

Par une belle nuit, un grillon sautillant
Et chantant,
S'en allait tout le long d'une plaine fleurie.
Il y rencontre un ver-luisant
Bien brillant,
Dont la vive lueur éclairait la prairie.
« Bonsoir, bel astre radieux ;
Bonsoir, noble étaile vivante,
Dit le grillon ; que je te trouve heureux !
De ta lumière étincelante
On aperçoit au loin les feux ;
Et dans ce pré, sur chaque plante,
Quelque insecte vers toi tourne un œil envieux.
- Il est vrai, » dit le ver, « mon sort est glorieux :
La nature, avec complaisance,
A répandu sur moi des dons bien précieux ;
Et sans doute la différence,
Mon cher, est grande entre nous deux.
Te voilà, tout brun et tout sombre,
Te traînant à tâtons dans l'ombre,
Obscur, sans être vu, sans voir ;
Tandis que les rayons de ma vive lumière
Guident non- seulement mes pas quand il fait noir,
Mais sont, pour mainte fourmilière,
Comme un second soleil qui se lève le soir ! »
C'était là, pour un ver, un bien pompeux langage ;
Mais il n'en dit pas davantage.
Guidé par sa vaine lueur,
Sur notre ver- luisant, un oiseau de ténèbres
Fond, l'enlève, l'avale, et, sans nulle pudeur,
L'envoie aux rivages funèbres.
Cependant, le grillon, tout tremblant de frayeur,
S'était blotti sous des brins d'herbe :
« Oh ! oh ! dit- il tout bas, ne soyons pas superbe.
De notre obscurité sachons nous consoler.
La nature a voulu compenser toute chose :
De biens, de maux, chacun ici-bas a sa dose ;
Il peut coûter cher de briller. »

Livre II, fable 7




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