L'Homme et le Rossignol Charles Desains (1789 - 1862)

A chanter les beaux jours toi qui fus destiné,
Pourquoi d'un silence obstiné
Chagrines-tu le voisinage.
Rossignol enchanteur, le printemps dure encor,
Quel sujet peut sitôt suspendre ton ramage ?
Un misérable enfant, pour gagner un peu d'or,
A-t-il volé ton nid et vendu ta famille ?
Ou ce tube cruel, dont l'éclair tonne et brille,
Sous l'oeil d'un chasseur sans pitié,
Â-t-il mis à mort ta moitié?
Non.L'homme est mon ami, chacun dans la campagne
Protège ainsi que toi l'innocent Rossignol,
Et mes petits, guidés par nia douce compagne,
Sur les arbres voisins vont essayer leur vol.
Mais des Corbeaux pervers, que ma voix importune,
Déversent sur mes jours le fiel de leur courroux ;
Ils disent, dans l'accès d'un sentiment jaloux,
Que l'intrigue fait ma fortune,
Que la nuit et le jour chantant
Sans modestie à tout venant,
Je veux sur les oiseaux exercer mon empire ;
Ils vont même jusques à dire
Que je suis un méchant ; et moi, pour éviter
Lespropos mensongers que mon gosier m'attire,
Je me tais. C'est un tort, pourquoi les redouter ?
Qu'importe que ta voix à ces criards déplaise ?
Parce que les Corbeaux ne savent pas chanter,
Faut-il qu'un Rossignol se taise ?
Non, non, répands toujours tes chants mélodieux,
Nargue les médisants, les fous, les envieux :
Le destin des talents est d'exciter leur bile ;
Car, si frustré des dons que te firent les cieux,
Tu n'étais plus qu'un sot comme eux,
Ils te laisseraient bien tranquille.

Livre III, fable 2




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