L'Homme, le Merle et le Rossignol Alexis Rousset (1799 - 1885)

Un homme possédait en cage
Un merle avec un rossignol :
La cage était petite, et sous l'étroit grillage
On exerçait bien peu son vol,
Puis, on se querellait sans cesse.
Hélas ! par l'esclavage aigris,
Nos prisonniers, au lieu de vivre en bon amis,
Semblaient n'aimer que la tristesse.
Le maître résolut d'y mettre ordre. Un matin,
Muni d'une cage nouvelle,
Le lendemain d'une querelle,
Il vient les séparer enfin.
Mais à qui la donner cette cage ? Le merle
La demande à grands cris. Il est, dit- il, la perle
Des oiseaux de chambre : il saura
Chanter, parler, siffler, tout comme on le voudra.
Le chantre du printemps, cette petite bête,
N'est qu'un écolier près de lui,
Un écolier qui rompt la tête
Des gens, et qu'il veut bien défier aujourd'hui.
C'est unpeu fort !...voyons. - Le rossignol commence,
Et d'abord, prélude en cadence ;
Puis, donnant l'essor à sa voix,
Il chante les prés et les bois,
L'écho, le vent, les eaux, ses amours, son amante,
Le sombre ennui qui le tourmente ;
Il chante enfin la liberté,
Ce bien si doux, si regretté...
Oh ! les divins accents !
Tout près de la fenêtre
On voit plus d'un oiseau paraître ;
Et bientôt, loin de la cité,
Tout le poème est récité.
C'est l'œuvre d'un ami, d'un frère,
Captif sur la terre étrangère...
Le maître était ravi. C'est à toi de chanter,
Dit-il au merle ; allons, j'écoute.
Le merle est bien hardi sans doute ;
Car, sur-le-champ, sans hésiter,
Il commence aussi son poème.
O liberté, non, non, ce n'est pas toi que j'aime !
L'esclavage est cent fois plus doux,
Quand un bon maître a soin de nous.
Les dieux l'ont fait à leur image.
Règne !... ont-ils dit. Le voilà roi.
Notre faiblesse est leur ouvrage.
L'homme a reçu des dieux l'esprit et le courage,
Et l'univers entier doit accepter sa loi.
Mais comme il sait la rendre douce !
Pas un seul jour où sa bonté
A quelque bienfait ne le pousse.
Non, non, ce n'est plus toi que j'aime, ô liberté ! -
Ma foi, dit l'homme, je l'avoue,
Ce merle a brillamment chanté,
Et je lui dois le prix qu'il a bien mérité.

La voix par excellence est celle qui nous loue.

Livre I, fable 18




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