C'est grand'pitié que ouvrier sans cesse
Avec le maitre ait de fâcheux débats.
Guerre funeste, où soi-même on se blesse,
En vain des cœurs la discorde est maitresse ;
Les intérêts ne se divisent pas.
Pour conjurer les maux de la fabrique,
Mettons nous-même œuvre sur le métier.
De mon travail salaire magnifique,
Si je rendais la paix à l'atelier !
De l'âge d'or on compte cent merveilles.
Le miel coulait comme fleuve en tous lieux ;
Mais pour le faire il fallut des Abeilles,
Quand par malheur le monde se fit vieux.
Pour distiller sa nouvelle ambroisie,
L'essaim bruyant fut d'abord se nicher
Dans un tronc d'arbre, en un creux de rocher.
Mauvais refuge, auberge mal choisie,
Ouverte aux vents, à la pluie, aux frimas,
A l'ours friand, plus dangereux encore.
On s'exilait en de plus doux climats,
Cherchant te mieux du couchant à l'aurore,
Trouvant partout de nouveaux embarras.
Lhomme, inventeur de mille autres merveilles,
Bâtit la ruche, et l'offrit aux Abeilles ;
Les hébergea, du froid les garantit ;
Durant l'hiver nourrit les indigentes ;
Sema de fleurs des moissons abondantes
Aux environs, puis un beau jour il dit :
« €a donnez-moi ma part de la récolte.
Comptons ensemble. » Et d'y porter les mains.
Grande rumeur, attroupement, révolte.
Et la menace et les dards inhumains.
L'homme s'enfuit, comme vous pouvez croire.
« Peuple méchant ! Ingratitude noire !
Vous me chassez ! Attendez cette nuit. »
La nuit venue, i ! arrive sans bruit ;
Creuse la fosse ou pour prix de injure
Un peuple entier doit descendre et périr.
Las ! on dormait avec un doux murmure
Dans la cité. L'on rêvait au plaisir
De s'envoler aux champs avec l'aurore
Et sur les fleurs de butiner encore.
Affreux réveil ! dans le secret dortoir,
Vapeur de soufre et brûlante fumée
Font tout périr. D'échapper nul espoir,
Adieu rayons, récolte bien-aimée !
Qu''il valait mieux faire à homme sa part !
Dans le rucher se répand la nouvelle.
« Partons, mes sœurs, et plus tôt que plus tard !
Mais nos trésors !... Et puis maison si belle
Loin des humains où se trouvera-t-elle ?
Nous, repeupler les rochers et les bois !
Y¥ serons-nous mieux hélas ! qu'autrefois ?
L'homme survient : il offre un arbitrage.
A Réséda portons le compromis.
« Vous le savez, la Fée est juste et sage.
Qu'elle prononce, et me voilà soumis. »
Le marché plut : et l'homme et les Abeilles
Incontinent de gagner son palais.
La Fée ouvrit sa porte et ses oreilles ;
Il n'était pas meilleur juge de paix.
Du peuple ailé blâmant la résistance,
Surtout de homme improuvant la vengeance,
Elle leur dit : « Pauvres gens, s'il vous faut
A toi du miel, à vous ruche bien close,
Pourquoi la guerre entre vous ? Ah ! plutôt
Soyez amis ! sur le besoin repose
Votre union. Qu'elle dure à jamais !
Plus généreux, disputez de bienfaits.
Toi, plus de soufre, et vous, plus de piqûre.
Vous, qui du froid chez lui bravez l'injure,
Pour vos maisons, pour ses soins assidus,
Payez en miel ; l'ours en prendrait bien plus,
Sans rien donner. Mais n'entends-je pas dire :
« Combien à homme ? Aux Abeilles combien ? »
Gens pointilleux ! Un mot doit vous suffire.
« Paix est richesse, et qui veut trop n'a rien. »
Oh ! désormais si l'on croyait la Fée !
Si dans Lyon la discorde étouffée
Ne portait plus ses affreux étendards !
Maitre, ouvrier, quelle paix ! quelle joie !
Tout irait bien, et, comme vos brocarts,
Vos jours seraient tissus d'or et de soie.