Le Corbillard de Besançon Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

On peut sous un air de carême
Quelque temps faire carnaval ;
Mais la ruse s'évente, et cela finit mal.
On y prendrait-Satan lui-même.
Le Corbillard de Besançon
L'éprouva l'an passé. C'est une vieille histoire,
Mais qui peut servir de leçon,
Et bonne à mettre en la mémoire.
Voici le fait. Notre gaillard
(Je veux parler du Corbillard)
Chaque jour faisait son office,
Portait jeunes et vieux au commun rendez-vous.
Semblait dire aux passants : « Armez-vous du calice.
Jetez, priez, humains, car vous y viendrez tous.
Point de péchés secrets sous votre houppelande.
Celui dont je témoigne à vos yeux le pouvair
Jusqu'au fond des cœurs peut tout voir.
Chez lui n'espérez point passer de contrebande. »
Bref, il faisait trembler fillettes et garçons.
Coups de chapeau sur son passage,
Signes de croix, muettes oraisons
A l'envi lui rendaient hommage.
Même, pour lui s'humanisant, l'octroi
Qui fouille en un besoin les carrosses du roi,
A celui de la mort épargnait sa visite.
De Dieu, des Saints serait maudite
La main qui toucherait Monsieur le Corbillard.
« Passez, » lui disait-on ; et le vieux hypocrite
Passait d'un air de papelard.
Enfin un bruit s'épand qu'il trompe sa police,
Et qu'il prend du retour. Chacun de s'écrier :
~ « Lui ! Corbillard, contrebandier !
Non, il faut des menteurs confondre la malice. »
Et chapeau bas un commis poliment
Vient, la rougeur au front, comme eût fait un novice,
Lui bégayer son compliment.
Corbillard, un peu sot, veut user d'artifice.
Il fait sourde oreille un moment.
On l'arrête : il s'indigne ; on s'excuse, et la sonde
Explore en tous les sens la caverne profonde.
Du peuple Bisontin surprise sans seconde !
On en tire un gigot et puis un autre, enfin
Maint aloyau. Tout l'antre en était plein.
Nouveau quartier, nouvelle joie.
On eût dit le cheval de Troie
Accouchant des guerriers dans son ventre blottis.
Moins heureux cependant les gigots furent pris.
Convaincu de faiblesse humaine,
Corbillard dés ce jour fut traité sans façon.
Pharisien, dont le sourcil nous gène,
Tu recevras même leçon.

Livre IX, fable 7




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