Les deux Corneilles Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Le siècle est esprit fort ; sur Ja damnation
Pas n'est besoin qu'on le rassure,
Mais si la foi languit, la superstition
Fait encor trés bonne figure.
Dieu menace : on sourit ; un chien hurle : on a peur.
Frédéric se raillait de la croix du Sauveur,
Mais qu'a table sur une assiette
Le couteau croisât la fourchette,
Le vainqueur de Rosbach ne rêvait que malheur.
Xanthus, comme lui philosophe,
Consultait les oiseaux. Autre temps, même étoffe.
A son Esope un jour il dit :
« Va te mettre aux aguets. Situ vois deux Corneilles,
C'est bien : cela promet merveilles ;
Mais si tu n'en vois qu'une, un mal nous est prédit. »
Esope en dit en silence.
En lui-même il riait, je pense.
Il revient à grands pas : « Maitre, j'en ai vu deux. —
Voyons-les ! » dit Xanthus, plein d'une ivresse folle.
Mais avant qu'il arrive un des oiseaux s'envole.
«Tu me trompais, coquin ! » Et prenant aux cheveux
L'observateur malencontreux,
Il jouait du bâton. « Tiens, voilà ton salaire. »
Comme il frappait encore, arrive un messager.
« Seigneur Xanthus, pardon, mais (sans vous déranger)
Charès est mort. - Vraiment ! — Et vous fait légataire. —
Et croyez, dit l'esclave, en se frottant le dos,
Croyez, cette fois un présage !
À moi les coups pour deux oiseaux ;
Pour un seul a vous l'héritage. »

Livre IX, fable 13




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