Les animaux, dont la faiblesse
Est d'imiter en tout l'humaine espèce,
Dans un certain pays, qu'on n'a point indiqué,
Au dernier carnaval eurent un bal masqué.
Là chacun s'affubla selon sa fantaisie ;
Une feuille trouée était par l'un choisie ;
D'autres cachaient leurs becs, leurs groins, leurs museaux
Sous des morceaux d'écorce, ou des débris de peaux.
Tout cela devait être en somme
Très misérable ; il faut les excuser,
Ils ne connaissent pas encore, comme l'homme,
L'art de se faire un masque et de se déguiser.
Aussi pour eux rien n'était si facile
Que de se reconnaître, et du déguisement
Nos animaux masqués se servaient seulement
Pour contenter leur haine et décharger leur bile.
Le singe dit à l'ours : « Je te connais vraiment,
Sot, grossier, malpropre et gourmand,
Tu voudrais te donner des grâces,
Grimper, danser, batifoler enfin ;
Mais, en vain tu fais le badin,
Partout pour un lourdaud tu passes. »
A ce langage inconvenant
Notre ours ne cherche point quelque fine réplique ;
Pour toute réponse, il applique
Sa grifse sur le nez du masque impertinent.
« Plat valet du plus méchant maître,
Disait aussi le cerf au chien,
Va, tu n'es pas masqué si bien
Qu'on ne puisse te reconnaître.
Ce n'est pas de l'instinct, de la nécessité,
Que te vient tant de cruauté ;
C'est pour compte d'autrui, par lâche servitude,
Que de l'assassinat tu t'es fait une étude. »

Déjà pris par le flanc, il était déchiré,
Si la foule du chien ne l'avait séparé.
« Ce masque m'est connu, vraiment, c'est, je parie,
Du pays le plus grand voleur, »
Dit la pie au renard, qui, prenant de l'humeur,
Vous croqua madame la pie.
Bientôt ce fut une rumeur,
Des cris, des coups ; on se tiraille,
L'on se frappe, l'on se chamaille ;
En un mot, la salle de bal,
En peu d'instants, n'offrait pas mal
L'image d'un champ de bataille.

Mes chers lecteurs, qu'en dites-vous ?
Il n'en est pas ainsi chez nous.
L'espèce humaine, j'imagine,
L'emporte sur ce point. Le masque, honnête, doux,
Intrigue finement, avec grâce badine ;
Sans vous offenser, vous lutine ;
Ou, tâchant d'exciter une amoureuse ardeur,
Ne cherche à blesser que le cœur.

Livre III, fable 8




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