L'âne ainsi se plaignit un jour à Jupiter :
« Grand Dieu ! pour quel forfait faut-il donc que j'endure
La servitude la plus dure,
Qu'on puisse ici-bas supporter ?
Tu m'as donné l'homme pour maître,
Et, plein de résignation,
Je me soumets à la condition
Dans laquelle tu m'as fait naître ;
Mais qu'il use avec moi de traitements plus doux.
Quand de le contenter vainement je m'efforce,
Dans des travaux qui dépassent ma force,
Je suis encor roué de coups.
Empêche, ô Jupiter, une telle injustice ;
Je veux bien travailler aux champs, à la maison,
Mais ne permets plus, Dieu propice,
Que je sois battu sans raison. »
La divinité débonnaire
Répondit au pauvre grison :
Je voudrais exaucer ta trop juste prière ;
Des animaux je suis aussi le père
Et règne également sur tout cet univers.
Mais, hélas ! de l'humaine engeance
Adoucir les penchants pervers,
Est au-dessus de ma puissance.
Autant que je le puis, je veux
Cependant exaucer tes vœux.
L'insensibilité deviendra ton partage ;
A dater de ce jour, ta peau s'endurcira,
De l'homme sur ton dos le bras se lassera,
Sans que tu souffres davantage.
C'est tout ce que pour toi je peux. »
L'âne s'écria, tout joyeux :
« Sois béni, Jupiter ! puisqu'il n'est pas possible
De mettre un terme à mon malheur,
Tu m'auras fait une insigne faveur
Si tu peux m'y rendre insensible. »