Quand Jupin de sa main féconde
Fit sortir ce vaste univers,
De races d’animaux divers
Il peupla les déserts du monde.
L’âne naquit alors ; mais, soit de parti pris,
Soit pressé par les soins qui l'agitaient en foule,
Jupiter se trompa : line sortit du moule
Gros comme un écureuil, et jeta les hauts cris.
Sur si chétive créature
Nul n’avait daigné tourner l'œil.
L'âne eût voulu briller, mais comment ? sa stature
Répondant mal à son orgueil,
Il faisait par le monde assez triste figure.
Un jour, vers Jupiter le quinteux animal
Accourt pour réclamer plus superbe encolure ;
« Pitié ! s'écriait-il, a-t-on rien vu d'égal
Aux affronts qu'il faut que j'endure ?
Le tigre, le lion, 1'élephant, et tous lieus,
Sont comblés l'honneurs et d’hommages
Petits et grands, à qui mieux mieux,
Vantent partout leurs avantages ;
Pourquoi donc l'âne seul a-t-il si triste lot ?
Qui l’honore, et de lui qui dit jamais un mot ?
Ab! si du veau j’avais la taille,
Tigres et léopards rabattraient leurs grands airs,
Et cette foule qui me raille
Irait prôner partout mon nom dans univers. »
Avant que parût la lumière,
Notre âne tous les jours courait vers Jupiter,
Et tous les jours, sans fin, lui chantait le même air.
Jupiter, ennuyé, fit droit la prière ;
L’âne devint soudain grand animal. Sa voix
Ayant acquis dés l'ors des cordes sans pareilles,
Notre hercule à longues oreilles
Devint l'épouvantail des bois ;
Les hôtes des forêts criaient tous à la fois :
« Quel étrange animal! la chose est bien certaine,
Il a des dents d'un pied, des cornes par douzaine! »
Chacun parlait de lui du matin jusqu’au soir,
Comment tout finit-il ? Cet animal si crane,
Qu’était-il en effet ? On vint a le savoir:
Le baudet, depuis l'ors, porte l'eau du lavoir,
Et l'on dit : Bête comme un âne !
Du rang qu'importe la hauteur!
Qui veut trop se grandir s'abaisse ;
Quand on est petit par le cœur,
On n'est pas grand par sa noblesse.