Le Hibou et l'Âne Ivan Krylov (1768 - 1844)

Parti pour un très long voyage,
Un une aveugle errait , sans guide et sans appui,
Au fond d'une forêt sauvage,
Et la nuit s'étendait si sombre autour de lui
Qu'un autre, avec des yeux, n'eût pas vu davantage.
Bref, dans d'épais taillis le touriste insensé
Finit par se trouver si fort embarrassé.
Qu'il lui fallait peut-être une journée entière
Rester sans avancer ni marcher en arrière.
Un hibou, par hasard, tout près de là passait;
A s'offrir pour guide il s'empresse.
Or, un hibou, chacun le sait,
Du regard peut percer la nuit la plus épaisse.
Sur le chemin obscur se trouvaient, tour à tour,
Monts, ravins, fossés, précipices ;
Mais tout, grâce à ses bons offices,
Était franchi comme en plein jour.
Le matin, nul danger n'apparaît sur la route;
Mais quitter un tel guide était cruel sans doute;
L'une n'y peut songer. D'un ton assez pressant.
Il l'invite à poursuivre, et le hibou consent.
Brûlant d'une ardeur sans égale,
Mon baudet veut dès lors parcourir l'univers.
Le hibou, d'un seigneur se donnant les grands airs,
Sur son dos aussitôt s'installe. Et l'on part.
Le voyage est-il heureux ? Non pas.
A peine à l'horizon l'aube est-elle apparue,
Que le hibou, perdant la vue,
Fait chopper l'âne à chaque pas.
Pourtant notre entêté, dans sa cervelle étroite.
N'en voulait point démordre ; en aveugle il guidait
A travers les dangers son aveugle baudet.
« Gare ! lui criait-il, une mare est à droite!
(Or, point de mare à droite ; à gauche était un trou.)
A gauche, encore à gauche, et prends garde à la butte ! »
Paf ! mon baudet et mon hibou
Dans un ravin font la culbute.

Qu'un écervelé guide un fou.
Il doit s'attendre à même chute.

Livre IX, fable 14




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