Dans certaine cité l'on garde la mémoire
D'un vieux richard nommé Miron.
Si je l'appelle ainsi, n'allez pourtant pas croire
Que, pour remplir mon vers, j'aurai créé son nom,
Car, ici, tout est de l'histoire,
A pareil nom pourquoi donner l'impunité ?
Pour que l'on s'en souvienne, il faut qu'il soit cité.
Le bruit courait qu'en mainte armoire
Il avait des trésors cachés à la maison.
Les voisins de crier; ils avaient bien raison,
Car les gens ajoutaient encore
Que jamais cet homme au cœur sec
Aux pauvres que la faim dévore
N'avait donné même un copeck.
Qu'il soit avare ou non, veut qu'on l'honore.
Miron, pour conquérir l'opinion des gens,
Fait annoncer qu'à certaine heure.
Les samedis, dans sa demeure,
Il doit distribuer la soupe aux indigents.
Les passants donc, voyant la porte non fermée.
Disaient : « Ce pauvre coffre, il doit être épuisé ! »
Amis, ne craignez rien ; Miron est très-rusé :
Miron lâche, au jour dit, une meule affamée;
Les pauvres, vers son seuil accourant par troupeau.
Du régal annoncé ne voient point la fumée,
— Et s'en vont, tout heureux d'avoir sauve leur peau.
Mais Miron pour la foule est un saint qu'on révère.
Ce Miron, dit chacun, peut-on trop l'admirer?
Ses chiens ont, il est vrai, l'abord un peu sévère,
Et chez lui fort à l'aise on ne peut guère entrer;
Mais ses richesses sont les nôtres;
S'il sait si bien accaparer.
C'est pour donner son or aux autres. »

Les grands, dans leurs palais où trône leur orgueil,
Nous gardent, je le sais, assez mauvais accueil ;
Le visiteur chassé doit-il accuser l'hôte ?
\on ; qu'on s'en prenne aux chiens qui jappent sur le seuil ;
Quant à tous nos Mirons, ce n'est jamais leur faute.

Livre IX, fable 13




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