« O ma sœur, sais-tu l'aventure ?
Disait une souris sur le pont d'un vaisseau.
L'eau dans le bâtiment s'est fait une ouverture,
Et j'en avais, en bas, déjà jusqu'au museau.
(Or, notez que ses pieds étaient mouillés à peine,)
Pour arrêter le mal je me démène en vain.
Rien d'étonnant ; le capitaine,
Ivre-mort, reste au lit, pour y cuver son vin ;
De son côté, l'équipage
Ne s'occupe à rien du tout.
L'un dort, l'autre fait tapage.
Et le désordre est partout.
Je me suis presque enrouée
A leur crier d'accourir,
Que , la cale étant trouée,
Le bâtiment va périr.
« Courir ? Où donc ? » Et tous se bouchaient les oreilles,
Comme si , pour mon bon plaisir,
Je venais débiter sornettes sans pareilles.
Pourtant le mal est très-profond ;
Si l'on n'y veille, avant une heure,
Le vaisseau va couler à fond.
Mais avec eux faut-il qu'on meure?
Allons , ma sœur, de ce vaisseau
Sauvons-nous , avant la déroute ;
Gagnons la terre, à travers l'eau :
Le rivage est prochain sans doute. »
Et soudain, d'un commun effort.
Nos deux souris aventurières.
Du pont franchissant les barrières.
S'élancent dans la mer, pour y trouver la mort.
Quant au vaisseau, rentrant aux mers de la patrie,
Grâce à son chef habile, il put, sans avarie.
Une heure après, toucher au port.
Mais j'entends le lecteur me dire :
« Expliquez-vous alors sur ce chef aviné.
Ces matelots oisifs, cette eau dans le navire. »
« La trouée était faible et le dégât borné ;
La chose en un clin d'œil avait été finie;
Quant au reste, lecteur, tu l'auras deviné :
C'était... c'était la calomnie.