La Souris voyageuse Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Dans le Sénat du peuple des Souris,
Un jeune Magistrat racontait ses voyages.
Oui, Messieurs, disait-il, sur les lointains rivages,
Chez les peuples les plus polis,
J'ai visité, d'après l'avis des sages,
Tous les greniers les mieux fournis.
O prodige ! un beau soir, sous une voûte obscure,
J'ai vu des animaux qui parlent comme nous ;
Et j'ai très-bien vu, je vous jure ;
Ils sont enveloppés d'un duvet lisse et doux ;
Ils ont l'œil vif, la patte fort menue,
Et la peau veloutée et l'oreille pointue ;
Mais, écoutez. Ces animaux,
Qui, plus que nous, me paraissent agiles ;
S'affublent de certains manteaux
Formés de membranes mobiles,
Et volent comme des oiseaux.

– O l'ignorant ! ô la tète éventée !
Dit aussitôt, avec mépris,
La Doyenne expérimentée ;
Eh ! c'étaient des chauves-souris ?
Nous en voyons autant, sans quitter nos taniéres :
Une autre fois, on t'enverra bien loin,
Pour nous en rapporter de si vives lumières.
Sénat, comptons encor sur un pareil témoin.

Approfondir les mœurs, observer les usages ;
C'est l'étude des bons esprits,
Qui ne va point à tous les âges.
Que de jeunes gens à Paris
Sont aussi sots que ma souris,
En revenant de leurs voyages !

Livre III, fable 18




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