Du Lyon et de La Souris Ysopet I (Moyen Âge)

Un lion qui las ost esté,
Se reposoit un jour d’esté,
Pour le grant chaut que il avoit,
En un biau lieu foillu et froit ;
Mais de souris une grant tourbe
Son repos li brise et destourbe,
Qui se jettent environ lui,
Au lion tourne a grant ennui.
Une en prist, tant l’a espié ;
Elle lui a merci crié :
Pour quoy le lyon la soulage ;
Puis se pourpense en son courage,
Et dist : « Se l’avoi-je occise, «
« Quelle louange auroi-je acquise? »
« Quant grant homs un petit seurmonte, »
« Il ne li tourne fors que honte. »
« Se je l’occis, mon pris meneur »
« En sera : et sove l’honneur. »
« Vaincres est bien : en aucun cas »
« Honteux est : en l’autre n’est pas. »
« Le grant qui au petit, assemble «
« Et vaint, est vaincu, se me semble : »
« Selon ce dont on a victoire »
« Doist estre l’onneur et la gloire. »
Ainsi laist le lion sa proie.
La souris s’en vet a grant joie,
Qui le lion moût en mercie,
Et moût bien lui promet aie,
Se elle puet venir en lieu,
Ne demoura qu’un jour tout seu,
Que au lion avint grant peur :
Car en la rois a un veneur
Chei, que issir ne s’en puet,
Tout quoy de mourir lui estuet.
Or a il de ayde mestier.
La bonté qu’il fist avant hier
A la souris, n’est pas perdue,
Par temps lui sera bien rendue.
Saves comment que il advint ?
Celle souris Là tout droit vint
Où le lion gist tout destrois
Si se prist a rungier les irois
O ses dentelettes menues :
En a tant de mailles rompues
Que li lions s’en va tout quittes :
Bien li a rendu la mérités
De ce que fait il lui avoit :
Ce scet bien le lion et voit.

Bonté ne puet estre perdue,
Qu’en aucun temps ne soit rendue :
Qui assez puet n’aist en dépit
Le povre, se il peut, petit;
Car tiex ne puet, a mon cuidier,
Nuire, qui moult bien puet aidier.
Cils a qui Dieu n’a donné force,
De bon conseil et bon amorce
A la fois est en lui trouvée :
La force vault bonne pensée.
Bien ne vit oncques courtoisie
Communément ne soit mereie :
En ce siecle ou l’autre sera
Qui bonté rémunérera.

Tiré du le livre Fables inédites des XIIè, XIIIè, XIVè siècles et Fables de la Fontaine, par A.C. M. Robert, 1825, p.131


Fable XXVII

Notes

Foillu : feuillu, couvert de feuilles
Aie : aide
Rois : rets, filet.
Estuet : faut
Désirais : embarrassé
O ou od : avec.
Voit : va ou s’en va
A mon cuidier : à ma croyance, à mon avis
Mercie : récompensée
Rémunérera : récompensera


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