Le peuple Souriquois
Ayant usé des rois,
Rêvait la République
Démocratique.
Dans un grenier à blé
Il s’était assemblé
Pour discuter lois et finance,
Puis élire à la présidence
Le plus habile souriceau,
Fort sur Platon, fort sur Rousseau !
D’abord tout alla bien, tout marcha sur roulettes,
Et si l’on fit quelques boulettes
Ce fut par habitude, un reste de travers
Commun à tout mortel habitant l’univers :
Sans trop d’écrits,
Sans trop de bruits,
On vota les impôts, on dota les ministres
Dont les noms paraphés couvrirent les registres.
Après parurent les décrets
Concernant maires et préfets.
Mais quand le moment vint d’adjuger au plus digne
Le fauteuil présidentiel,
Chacun cria : « moi ! moi ! » se mit premier en ligne
Et candidat officiel.
Ce qu’il se débita de discours, de harangues,
D’injures, de gros mots en trente mille langues
Est impossible à croire, On ne s’entendait plus.
Le grenier tressautait à ces tohu-bohus.
Pendant le tintamarre, un rhéteur se faufile
Du côté du fauteuil, sur lequel, très servile,
Il s’assoit gravement. Les candidats surpris
Que le siège envié fut à leur barbe pris,
Redoublèrent de train, crièrent de plus belle ;
Une madame Souricelle
Représentait à son époux
Qu’il logerait selon ses goûts
Au palais de la présidence.
Et la bataille recommence.
Du pays, nul n’avait le souci ni l’orgueil,
Ce qu’on voulait c’était… s’emparer du fauteuil.
Souris et souriceaux sur le dossier grimpèrent,
Le velours grignoté, les crins et bois rongèrent
D’un si bon appétit, qu’épeuré comme un fauve
Le premier président l’abandonne et se sauve.
Un autre succéda, lutta seul contre tous,
Mais le pauvre fauteuil dévoré des deux bouts
Tomba sur le carreau n’étant plus que poussière.
Lors, le gouvernement, mort-né, gisant à terre,
Chacun se regarda… Tudieu ! c’était le temps
De semer en hiver les graines de printemps.
Sur les menus débris du meuble politique
On songeait à la République,
Car jusque là criant : moi ! moi !
Chacun n’avait songé qu’à soi.