La Chauve-souris et le Chasseur

Nicolas Bricaire de La Dixmerie (1731 - 1791à


Au sein d’un mur abandonné,
Reste hideux, informe et par le temps miné,
Prêt à s’écrouler à toute heure,
Une chauve-souris, être peu fortuné,
Etablit sa triste demeure.
Là, fuyant tous les yeux, l’équivoque animal
D’un salpêtre vieilli composait sa pâture,
Et prolongeait le cours de son destin fatal.
Telle est la loi de la Nature :
Tout être, quel qu’il soit, heureux ou malheureux,
Fait, d’étendre ses jours, sa principale étude ;
Le monarque absolu, sous les lambris pompeux,
L’esclave harassé sous le joug le plus rude,
Pour le même sujet importunent les Dieux.
Dans sa lugubre solitude,
Notre animal oiseau pensait aussi comme eux.
Eh qui pourrait, dit-il, m’envier l’avantage
De vivre en paix dans ce réduit !
Serait-ce l’homme ? Hélas ! sans aucun fruit
Il étendrait sur moi sa rage.
Je n’ai ni faveur ni plumage ;
Je vis de peu, je subsiste sans bruit :
Loin de l’importuner, je l’évite et le fuis.
Ce qui fait mes repas souvent ne sert qu’à nuire
A ces cruels tyrans qu’on nomme les humains.
Oui, le salpêtre dans leurs mains
N’est qu’un moyen de plus pour mieux s’entre-détruire.
Pour moi, je m’en nourris. Est-ce leur faire tort ?
Sont-ils en droit de me poursuivre ?
Ce salpêtre, qui me fait vivre,
À des milliers d’entre eux aurait causé la mort.
Cependant la nuit de ses voiles
Déjà couvrait le céleste lambris :
C’est notre jour, dit la chauve-souris ;
Nos seuls astres sont les étoiles.
Allons-en profiter ; c’est à certains oiseaux,
A l’homme, à d’autres animaux,
Que sans doute appartient l’astre qui les éclaire.
Ne leur envions rien. Peut-être quelque jour
L’aigle viendra troubler notre sombre séjour.
Elle dit et d’un vol paisible, solitaire,
Sans redouter nul fâcheux cas,
Elle s’élance à l’ordinaire,
Passe, croise, revient et ne s’éloigne pas.
Un Chasseur, enragé qu’une journée entière
L’ait vu perdre, sans fruit et sa poudre et ses pas,
Découvre, à son retour, la noire aventurière
Qui prend ses nocturnes ébats.
Tu ne peux, lui dit-il, orner ma carnassière :
N’importe ; ma fureur exige ton trépas.
Il prépare à l’instant sa foudre meurtrière.
Le coup part et dans l’air frappant le triste oiseau,
Le jette, palpitant, au pied de son bourreau
Toi qui penses trouver dans ta fortune obscure,
Contre certains écueils, un port qui te rassure,
Apprends que ton calcul peut souvent être faux :
Vient un mortel puissant, qu’un vain souci désole,
Et qui trouve, à combler tes maux,
Un passe – temps qui le console.





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